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Inspirations d’Hideo Kojima : Traduction de “La corde” de Kobo Abe.

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Préface de Light01C et RShuman16 :

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Kobo Abe, auteur japonais ( 7 mars 1924 – 22 janvier 1993 )

“La Corde” et “Le Baton” font partie des premiers “outils” dont les hommes se servirent. Le premier servait à se défendre du mal, le second, quant à lui, servait à conserver près de soi ce qu’il nous était cher. Où que se trouvent les êtres humains, on y retrouvera toujours les concepts de “Corde” et de “Bâton”. Ils font partie intégrante de notre entourage et s’infiltrent dans tous les aspects de la vie quotidienne de chacun.

Cette citation qui constitue l’ouverture du jeu-vidéo Death Stranding est aussi celle qui vient conclure la nouvelle nommée “La corde” de Kobo Abe. “La corde” a été écrite en 1960, et raconte l’histoire de deux petites filles usant d’une corde à la manière d’un bâton. Autrement dit, elles ont utilisées ce qui représentait symboliquement le “lien” comme une “arme”. Ce détournement correspond au même que celui opéré par Hideo Kojima à la fin de l’histoire de Death Stranding où Sam Porter Bridges transforme l’arme à feu en lien vers le monde des vivants. L’œuvre d’Hideo Kojima offre donc une réponse à la conclusion de l’œuvre de Kobo Abe, tout en s’appropriant ses symboles.

Death Stranding propose une vision optimiste des relations humaines laissée aux mains de ses joueurs en réponse à la conclusion pessimiste de “La corde”.

Pour lire une réflexion plus poussée sur le sujet, je vous renvoie vers l’analyse réalisée par Light01C sur “L’éveil de l’Homo Ludens”.

ATTENTION : Cette traduction a été réalisée par la communauté francophone de Death Stranding et ne vise aucune fin commerciale. Le texte qui a servit de base à notre traduction, a été réalisé par Tim Rogers le 31 octobre 2019 ( https://medium.com/@108/nawa-the-rope-by-kobo-abe-19db9afa6dd3 ) que nous remercions.

Kobo Abe ayant souvent été comparé à Kafka (qu’Hideo Kojima référence aussi dans Death Stranding par le biais de “l’odradek”), “la corde” est un texte surréaliste et extrêmement détaillé.

Traduction de Kowken :

Un homme…âgé de 62 ans…aux cheveux amincis et portant des habits de travaux couleur ocre sous son collet sale sur lequel on voyait de profonds plis verticaux…avec sous l’oreille une cicatrice couleur pêche blanche commençant à pourrir…sortant son menton et plaquant ses coudes sur ses tempes, scrutait fixement par le trou d’un mur. Ce trou…assez large pour y passer deux doigts, situé dans un mur de planches se trouvant à environ 3 tatamis d’un mince futon fourré dans le coin d’une pièce mesurant un « tsubo » (ancienne grandeur spatiale japonaise, soit environ 3,3 mètres carrés) étaient éparpillés sur le plancher en terre battue des ustensiles de cuisine. L’homme continuait d’épier…de l’autre côté de l’ouverture, ce cimetière d’outils…entouré sur 3 des 4 faces par une haute haie de planches de bois, la dernière faisant face à une rivière, un cimetière de ferraille. La poussière s’élevant de l’autoroute voisine au-delà de l’énorme agglomération de ruines rouges de rouille formait des tourbillons de vent au goût aigre. Un enchevêtrement de fils barbelés calfeutrait étroitement l’espace entre la haie et le port bétonné qui s’opposait à la rivière. Il n’y avait que deux façons d’y accéder: soit par le portail en bois adjacent au cabanon de l’homme ou bien via la rivière par bateau. Cependant, tout enfant souhaitant entrer dans le cimetière n’a pas besoin de recourir au moindre stratagème. Sans égards pour ces derniers, ils peuvent s’infiltrer tel un liquide pénétrant même les interstices les plus étroites. Pire encore, les enfants adorent les macchabées. Par exemple, ils tueront des insectes afin de les empaler avec des aiguilles pour revendiquer leur prérogative de propriété. Ils abattront des oiseaux et leur confectionneront des tombes. Ils iront même jusqu’à volontairement briser leurs propres jouets, avant d’en ranger discrètement une pièce dans leur poche. Évidemment, de tels individus ne manqueraient pas une telle décharge de cadavres métalliques.

L’homme replaça ses genoux et continua d’observer avec insistance…s’il pouvait, bien entendu, il les chasserait immédiatement. À vrai dire, il s’agit même de son rôle. Toutefois, tout ce qu’il a déjà tenté auparavant a échoué. Peut-être devrait-il hausser la voix et leur hurler dessus. Cela se solderait alors en un beuglement 3 fois plus fort en retour. Les gamins possèdent un certain don pour imaginer des jurons à crier. Quand bien même tenter de les faire s’éparpiller s’avèrerait inutile, il pourrait peut-être bien les attraper et leur administrer une sanction rigoureuse. Il pourrait se faufiler derrière, verrouillant silencieusement le portail en bois de l’intérieur afin de couper leur retraite, et de les acculer. Ce serait cependant comme pourchasser des rats à travers un champ. Tous ces morceaux de ferraille rouillée sont cassés et leurs rebords sont aiguisés comme des canines. Un véritable dédale de crocs soigneusement taillés, en somme. Ignorant la présence de l’homme, les enfants poursuivraient ainsi leurs activités comme si de rien était. Si les capturer est impossible, alors pourquoi pas leur envoyer quelque chose à la figure ? En effet, il se trouve ici une multitude d’objets éparpillés qui sembleraient adéquat au lancer. Malheureusement, n’importe quel jeune d’aujourd’hui sait jouer au baseball. Un fragment tranchant lui a une fois sifflé dans l’oreille. Bien que cela ne l’ait heureusement qu’écorché, la plaie s’était ensuite infecté et continuait à ce jour de lui provoquer une douleur cuisante jusqu’aux os – en particulier lorsqu’il s’abreuvait de « shōchū » (boisson alcoolisée japonaise distillée principalement à partir de riz, d’orge, de sarrasin, de patate douce ou sucre brun mais parfois aussi de châtaigne). Ces enfants se montrent si incorrigibles qu’il est tout bonnement impossible de concevoir que quelqu’un puisse s’entendre avec eux.L’homme a déjà 62 ans; un de ses genoux souffre par ailleurs d’un rhumatisme. Ce genoux ne pourra bientôt plus faire grand-chose, encore moins gérer des gosses…Ce sont du moins ses pensées tandis qu’il continue de sonder à travers la brèche. Il fut un temps où il pensait que c’était une bonne idée. Il avait même passé une demi-journée à creuser un trou. Tandis que les enfants étaient sur le point de rentrer de l’école, il y avait plongé et les avait attendu dedans. Il était sûr qu’ils viendraient. Si seulement il avait pu voir leur passage secret de ses propres yeux, alors il l’aurait immédiatement contourné par l’extérieur avant de le sceller une bonne fois pour toutes. (Le voilà, il est juste ici !)…Pourtant, aucun gamin ne semblait venir. À la nuit tombée, toujours aucun signe en vue de leur présence; ils avaient dû passer par autre part. Il y avait donc plus d’un chemin par ici. Le lendemain ne fût pas plus fructueux. Ni le jour d’après d’ailleurs, et ainsi de suite.

Cette tranchée à laquelle il avait consacré tant de temps et d’énergie n’avait donc au final servie à rien. Il se vit malgré tout incapable d’arrêter ses activités de voyeurisme. L’existence de cette meurtrière constituait à elle seule un prétexte suffisant pour qu’il continue d’y regarder au travers. Comme si ce trou était voué à l’espionnage, l’homme s’y tenait devant, immobile. À part pour changer d’œil indiscret ou bien essuyer la sueur coulant sur son front et embuant sa vision, il avait tenu son cou parfaitement droit tout en supportant ses douleurs au dos et aux hanches, le regard fixe…Ces garnements allaient bien à un moment donné abandonner leur plaisanterie et reprendre cet itinéraire…Dépité, il s’allongea tout en massant ses yeux injectés de sang avec ses paumes afin de se reposer. Toutefois, aujourd’hui n’était pas comme les autres jours. Car aujourd’hui, le vieil homme aperçut enfin pour la première fois l’occasion qu’il attendait depuis des semaines. Ils étaient moins nombreux que d’habitude – cinq en tout. Sans compter l’aîné, ils avaient tous à peu près la dizaine. Quelqu’un; ou plutôt quelque chose d’autre les accompagnait aujourd’hui: c’était un chiot. Celui-ci semblait avoir été maltraité par ces derniers, puisque le vieil homme fut témoin des pitoyables gémissements du jeune canidé. Ce fut cependant l’expression figée sur le visage de ces jeunes garçons qui perturba le vieil homme plus encore: Leur mine était inhabituellement pâle et tendue, présage du rituel barbare qui allait se tenir. Ils se tenaient telle une procession macabre, déambulant silencieusement parmi les pales de ferraille. Ils dénichèrent rapidement une plaque de fer plantée dans le sol. Ils se mirent alors à la déterrer avant de l’allonger par terre et l’encercler. L’adolescent gardait la tête du chiot plaqué contre la tôle. Un autre portant une casquette de baseball pleine de morve plongea sa main dans une flaque de diarrhée à la couleur de pêche blanche. La tête des enfants obstruaient le champ de vision de l’homme. Pourtant, il saisit aussitôt ce qui était en train de se produire lorsque le morveux à la casquette abattit sa main plusieurs fois. L’un d’entre eux se mit à rire à gorge déployée.

Une éternité semblait s’être écoulé. Les couinements du chiot avaient cessé.

Les feux d’artifice tirés depuis la régate illuminaient le ciel, lui donnant l’apparence d’un morceau de coton à travers les émanations jaunâtres provenant de l’usine désaffectée de caoutchouc.

« C’est trop chiant ! » soupira le tortionnaire tout en essuyant sa main sur son pantalon, l’air déçu.

« Il faudrait grandir… » interrompit quelqu’un.

Seul l’aîné du groupe avait levé une main hésitante deux ou trois fois sur la tête de l’animal. Ses complices avaient fini par se lasser. À ce moment-là, le chiot se retourna, se laissa couler de la plaque en roulant. À peine eut-il touché le sol qu’il tenta de déguerpir en hâte. Toutefois, il ne parvint qu’à ramper au sol; traînant sa carcasse avec ses pattes avant. Les sales gosses se mirent alors à ricaner.

« Regardez ! On dirait un phoque…un abruti de bébé phoque… »

Planqué dans sa fosse, l’homme leva les yeux au ciel et désapprouva leurs sévices d’un claquement de langue. Décidément, ces enfants étaient en train de torturer un être vivant. Il s’essuya le front et se replia immédiatement dans son trou. Il pressentait bien que ces gamins allaient bientôt lui filer entre les doigts. Cependant, maintenant que ces derniers s’étaient trouvé un nouveau souffre-douleur, il n’avaient pas la moindre intention de partir. Cela plongea le vieil homme dans une colère noire.

(Cette émotion inédite le ne le poussa pourtant pas à reconsidérer les choses…)

Ce à quoi ces garnements jouaient s’était transformé en quelque chose de plus innocent. Le chiot avait profité d’un moment d’inattention de leur part pour se faufiler dans les interstices d’un tas de ferraille. Les gamins se sont alors mis à imiter des chasseurs traquant la bête sauvage que leur victime était censée représenter. Ils empoignèrent des fragments de métaux et se mirent à grimper à la queue jusqu’au sommet de l’agglomérat, frappant et poignardant gaiement ce dernier par intermittence. Ce moment de répit fut en revanche de courte durée car ils finirent par acculer la pauvre bête dans un cul-de-sac. Comment cette histoire allait-elle se terminer ?…Leur yeux se tournèrent vers une sorte de marmite rouillée…l’intérieur était assez spacieux pour qu’au moins 3 d’entre eux puissent s’y asseoir confortablement. Même si un chiot pouvait s’y glisser, la brèche demeurait trop étroite pour qui que ce soit d’autre. Les jeunes garçons avaient alors fourré le jeune canidé à l’intérieur. L’animal devait maintenant leur faire office de lion, sûrement pris au piège ou bien les guettant depuis sa tanière. Le réceptacle était percé de nombreuses brèches, allant du petit cratère à la meurtrière. Les enfants, toujours en plein dans leur jeu de chasse, transpercèrent le chaudron à l’aide de bâtons et jetèrent des shrapnels à travers ses embrasures. Armant une barre de fer au dessus d’une petite ouverture, un des enfants, exultant, s’écria.

« Bon, on le tue ou quoi ? »

Allait-il l’empaler avec ce rivet ? Un autre garçon s’interposa…

« Du calme, mec; si on le bute, on va mettre du sang partout… »

« Ah fait chier; pan pan pan pan ! »

« Et si on le vendait à un zoo ? »

« Ça se mange, un lion ? »

« T’es con ou quoi ? On pourrait se faire couilles en or en vendant sa fourrure ! »

« Tu crois qu’il peut nous rapporter plus de 10,000 yen si on le vend ? » (Environ 86 euros)

« Mais carrément plus de 30,000 ! » (environ 258 euros)

Tous réussissaient à cerner leur proie parmi les décombres. Frustré, l’homme essuya sa main poisseuse sur sa cuisse de pantalon. Les garçons fourrèrent leur main dans les ouvertures et tentaient d’en extraire le chiot. Toutefois, le pot était bien plus profond que les bras des enfants étaient longs. Quoiqu’ils tentaient, ces derniers ne parvenaient pas à empoigner l’animal. Une idée vint soudain à l’esprit de l’aîné. Il noua un fil de fer en étau de manière à pouvoir attraper la pauvre bête. Il ouvrit la marmite et y glissa l’outil avec précaution. Ses camarades l’encourageaient. Le pré-pubère remonta la boucle. Cependant, le jeune canidé ne s’y trouvait pas. Celui-ci avait dû tomber tandis qu’il le remontait. Les acclamations se changèrent alors en brefs soupirs. Le vent porta avec lui le brouhaha de la régate à travers la passerelle. Un bateau à moteur de type « semi-diesel » remontait le courant de la rivière. Le vieil homme racla la sueur de ses phalanges tandis que les gamins réajustaient leur lasso. Le soleil de 16h passait pour un morceau de nickel en fusion dans ce ciel de suie. La cheminée de la vieille fabrique de caoutchouc expulsait un autre amas fragmenté de fumée jaunie. Les gosses, encore et toujours obnubilés par la marmite, persévéraient mécaniquement dans leur activité de pêche au filet. L’homme continuait de surveiller toute la scène depuis l’autre côté de son œilleton improvisé. Des dizaines de voitures se trouvant sur le pont se mirent à klaxonner simultanément. Peut-être rouspétaient-elles contre un véhicule s’étant arrêté devant ? Malgré la récurrence de ce genre de phénomène, un membre de la bande retira nonchalamment son regard du chaudron pour le tourner ver la source de tout ce raffut. Il s’écria alors.

« Hé ! Y a un truc qui cloche ! »

Deux jeunes filles s’extirpaient du cours d’eau, escaladant les marches de pierre du quai. Ces enfants dégoulinaient littéralement de la tête au pieds, en passant par leurs oreilles et leurs jupes. L’une d’entre elles tenait notamment une long corde en fibres d’Abaca, elle aussi trempée. Partageant les mêmes yeux écarquillés et globuleux ainsi que le même nez, il n’était pas compliqué de comprendre qu’elles étaient sœurs. Au-delà des simples apparences, elles avaient cependant des mines bien différentes. Celle qui portait la corde semblait être l’aînée, âgée de 10 ou 11 ans tout au plus. Ses cheveux humides s’étaient rabattus contre son visage ovale et malingre. Elle affichait l’expression froide d’un adulte tout en conservant une part d’entêtement puéril. La cadette avait peut-être 8 ou 9 ans. Elle était vêtue d’une robe grise comme un rat ainsi que d’une blouse rouge. Contrairement à sa sœur, ses traits étaient plus arrondis, tels ceux d’un chérubin au premier abord – jusqu’à que l’on remarque ses lèvres étirées, donnant l’impression qu’elle sourit constamment. Mouillées jusqu’aux os, les deux jeunes filles montaient doucement l’escalier rocheux. Derrière sa grande sœur au visage fermé, la plus petite hocha la tête pour jeter un œil devant elle…Les autres garçons restèrent bouche-bées, fixant les visiteuses avec crétinerie. Cela fit aussi oublier à l’homme, toujours embusqué derrière son trou, son mal aux genoux. Le vent qui soufflait à travers les 3 murs de haies agitait les T-shirts des petits garçons comme des drapeaux; à l’inverse de la tenue et la chevelure des filles qui leur pendaient dessus comme des cadavres. Mais d’où est-ce qu’elles venaient et surtout qu’est-ce qu’elles allaient foutre ici à la fin ?

L’ainée balaya les lieux du regard puis soupira. La cadette, continuant de sourire étrangement, désigna du doigt les garçons.

« Cet endroit fera bien l’affaire, nan ? » murmura sa sœur

« Sûrement », lui répondît-elle d’une voix surprenamment rauque pour son jeune âge. Les deux se mirent alors à essorer leurs jupes en remontant jusqu’à leurs hanches. Un des garçons demanda alors, « Vous venez d’où ? »

La petite s’esclaffa de rire tandis que la plus grande resta silencieuse. Elle se mirent soudainement à marcher droit dans leur direction et finirent par les rejoindre comme si de rien n’était. Elle s’assirent ensuite sur la partie brûlante de la marmite, qui faisait face au soleil.

« Hé ! Vous pouvez pas faire ça ! »

« Ouais on l’utilise ! »

La fille la plus âgée ne cilla même pas.

« Roh ça va. Juste un petit peu. »

Un sourire candide revint naturellement sur le visage de sa cadette.

« On veut juste sécher nos vêtements. »

Quand bien même ce fut le cas – sachant qu’on pouvait vraiment y faire sécher ses habits – leur attitude semblait juste bien trop suspecte. L’adolescent tapa du pied et rétorqua, « Ok ! Mais en échange vous nous prêtez cette corde ! »

Tout le monde se mit alors à parler en même temps.

« Y a un chiot qui euh, qui est tombé à l’intérieur. »

« Elle est grave cool cette corde ! »

« On a attrapé une proie à l’intérieur ! »

Curieuse, la petite sœur scruta le trou du chaudron et s’écria toute contente.

« Hé sœurette, y a vraiment un chien dedans ! »

« Bande d’idiots ! »

L’homme détourna le regard et renifla de dépit. Le dos toujours douloureusement courbé, il s’avança en chancelant. Il passa par la pièce en terre battue avant de s’engager vers la rivière; marmonnant “stupides petites couilles molles de morveux de merde”; puis il arriva au bord et se mit à uriner…”Je peux même pas pisser la moitié de ce que j’ai là-dedans…). Un passeur le surprit dans sa besogne lui hurla quelque chose avant de le caillasser. Le vieil homme cracha pour toute réponse et finit de s’assouvir. Alors qu’il repartait, il se figea soudainement devant le cabanon. Quelqu’un regardait à travers le trou de nœud de la haie, épiant le champ de ferraille. Le vieux gardien crispa le cou et fit une grimace. Sa dentition semblant flotter dans sa bouche, c’est son visage qui paraissait s’être détriplé. Il se sentait avoir complètement perdu la face. Il se rua sur l’autre homme, criant de colère alors que celui-ci se relevait.

“Hé ! Qu’est-ce que vous foutez ici ?”

La réponse de son interlocuteur était tout sauf ce à quoi il s’attendait. Il se présenta sans aucune gêne ni air de culpabilité. D’un air suppliant, il lui intima le silence de son majeur droit sur sa bouche–son index ayant déjà été amputé–et lui fit de grands signes de l’autre main. C’est donc le gardien qui, au final, fut décontenancé.

“Putain mais qu’est-ce que vous…?”

“Hé, c’est vous le gardien ?”

“Qu’est-ce ça peut vous faire ?”

“Est-ce que c’est un passage menant quelque part par hasard ?”

Le vieil homme crispa ses lèvres, baissa ses yeux abattus et murmura,

“Et bien en fait euh, mes euh, mes filles…”

“Tes filles ? J’en vois nulle part.”

“Nan, vraiment, mes filles…tenez, jetez un œil par le trou ici…et vous verrez qu’il y a aussi…d’horribles garnements et…”

“Non, je ne vais pas épier qui que ce soit par un trou. Et puis de toute façon, cet endroit se trouve hors de ma juridiction.”

“Et bah, c’est bien pourquoi je vous dis que vous devriez y jeter un œil”.

“Seriez-vous en train d’essayer de décider à ma place ?”

“À votre place ?”

“Je vous le répète, cet endroit se trouve hors de ma juridiction.”

“Bon Dieu de merde…c’est précisément la raison pour laquelle je vous répète que si vous y jeteriez un œil, vous comprendriez…il y a simplement une bande de sales gosses par-delà votre juridiction…si vous pouviez les faire dégager, les envoyer autre part…monsieur, je vous en prie…”

Tandis que le gardien regardait l’homme planté devant son judas improvisé de haut, son malaise se changea progressivement en sentiment de supériorité: S’il écrabouillait sa tête sale, puante et enflée…un filet de soupe en baverait sûrement…Le surveillant n’était pas SI vieux que ça; et il était au moins assez doué pour avoir gardé jusque là tous ses doigts intacts, quand bien même il était déjà en train de succomber à son alcoolisme…C’est alors que l’objet de son mépris se mit soudainement à hurler. Tandis qu’il criait, il indiqua d’une main excitée la fente par laquelle il scrutait alors. L’autre décida alors de jeter un œil par l’une des autres brèches. Il ne compris tout d’abord pas la  scène se déroulant sous son regard. Le chiot avait été installé de force au sommet de la marmite. Les sales gosses avaient sûrement dû récupérer celui-ci pendant qu’il regardait ailleurs. De l’autre côté du chaudron, les deux filles se faisaient face tandis que les garçons les entouraient. C’était du moins tout ce que le veilleur arrivait à voir. Mais alors qu’est-ce qui emmerdait le vieux à ce point-là ? La grande soeur intima à sa cadette de se dépêcher. Cette dernière se tint prête en réponse, et alors seulement le gardien saisit toute la situation. Leurs mains et le chien étaient tous liés par une seule et même corde. Celle-ci passa par les mains de la première avant d’entourer le cou de la victime et de venir dans celles de la seconde. Au signal de l’ainée, les deux filles se mirent à tirer la corde dans des directions opposées. Le chiot tenta tant bien que mal de libérer son cou et battre en retraite. Évidemment, ses efforts furent inutiles; toutefois, il s’en sortit sans trop de mal car la différence de force entre ses deux tortionnaires était trop grande, le jetant à terme inévitablement vers la grande soeur. Les garçons restèrent plantés comme des crapauds crevés; pas le moindre d’entre eux ne daigna offrir son aide. La fille aînée souleva le chiot, le pressa contre sa poitrine et se mit à lui plier le cou.

“Vous avez raison c’est atroce”

“Quelle bande de petits salopiaux…”

C’est alors qu’une chose encore plus terrible se produisit. L’aînée tendit le jeune canidé à sa petite soeur et attacha ensuite son bout de corde à une des anses du récipient en forme de  “く.” Après avoir replacé le pauvre animal sur le pot, elles attachèrent l’autre bout de la corde à son cou, comme si elles allaient l’étrangler par les deux côtés.

“Absolument…immonde !”

“Ce sont…mes filles…”

“Ok, c’en est assez…”

“Voilà pourquoi je vous en supplie, monsieur…”

“Ça va, je vais faire une exception et ouvrir le portail juste pour cette fois-ci…”

“Oh oui, s’il vous plaît…”

Le gardien sénile s’en alla chercher la clé dans sa loge. Tout en prenant soin de ne paraître ni sympathique ni compatissant, il se déplaça en toute indifférence en ne laissant trahir aucun signe de douleur venant de sa jambe.

“Bon…vous m’attendez ici, d’accord ?

De retour à son poste, il s’enquit de la situation de l’autre côté du mur. Il semblait que les filles avaient malheureusement réussi leur expérience. Les enfants se tenaient alors autour de l’animal inerte et aux yeux injectés de sang, arborant des mines inquiètes. Le gardien revint au portail, clé à la main; son visage était pâle et des larmes perlaient de ses yeux rougis.

« Allez, reprends-toi. »

« C’est juste que…j’arrive pas à croire que ces gamins… »

Lorsqu’il ouvrit la porte, la bande se retourna vers lui comme un seul homme. Le cadavre du chiot pendait lui à la corde accrochée autour de la anse. Alors que la vie le quittait, des spasmes parcouraient son corps par intermittences. Tout en se frottant les mains, l’homme s’avança un pas après l’autre vers les fillettes. Tout en s’approchant, il s’adressa à elle comme on traiterait avec condescendance un animal récalcitrant.

« Viens, Yoshiko…ma grande…et si on rentrait à la maison, hein ?… »

Retrouvant son rictus, la plus jeune des sœurs tourna son regard vers l’autre. Cette dernière la retint par le bras; l’entraînant avec elle à bonne distance de leur interlocuteur. Leur père combla l’écart tout aussi vite. Ce n’était toutefois pas aussi facile pour lui de se déplacer ici et le moment viendra où il devra immanquablement faire un détour.

« Allez, sois pas têtue…Écoute ton père juste une seconde quoi… »

« J’ai pas envie de mourir, moi… » dit la cadette tout en reculant, cherchant l’assentiment de sa sœur.

« Y a que des idiotes pour oser dire ça à haute voix ! T’es pathétique là ! »

Les filles reculèrent de 3 pas; le père dut en faire 6. Elles s’éloignèrent encore de 6 pas; il en parcourra 12.

« Va crever tout seul si ça te chante ! »

« Tu dis n’importe quoi ! Vous ne comprenez rien. Ton père est au moins trois ou quatre fois plus vieux que toi; vous devez m’écouter. »

« Je ne veux pas avoir mal ! »

« Il y aura toujours de la douleur ! »

« Le chien avait mal, grande sœur. »

« Oh, ça va: c’était rien du tout…s’il était pas mort, il aurait connu ça pendant toute sa vie ! »

« Va crever dans ton coin ! »

« Arrêtez vos conneries ! Je ne vais pas vous laisser faire ce que vous voulez…comment pouvez-vous dire des choses pareilles…me dire d’aller mourir ! Allez,je vous en supplie…laissez-moi vous dire ce que j’ai à dire, s’il vous plaît, pour réconforter votre pauvre père… »

Malgré le temps qui s’était écoulé, il n’était toujours pas parvenu à les rattraper. Au bout du filin pendouillait le pauvre animal, les pattes traînant au sol. Le vieillard, épiait alors les alentours cherchant visiblement de l’aide, puis se tourna vers les garnements. Ces derniers s’enfuirent vers les haies. Puis il y disparurent.

“C’est bon, j’ai compris…” L’homme avait abandonné l’idée de les poursuivre; les bras enfouis dans la ferraille, il demeurait figé.  “Et bien allez-y: faites souffrir votre pauvre père.

…Moi, tant que vous serez en vie, je serai toujours là pour vous….têtes de mules ! Comment vous mangeriez sinon ?”

“J’ai dégoté 100 yens”, marmonna l’aînée.

“100 yens ?!”

“C’est mon beau-père qui me les a donnés.”

“Vraiment ? Montre-moi !”, s’écria-t-il soudainement.

“Nan, je vais acheter quelque chose en rentrant.”

“Ah bon…”

Il baissa pitoyablement les yeux et fixa ses chaussures pendant un temps. Lui vint alors une idée. Il s’empressa de tendre ses chaussures à ses filles tout en leur disant :

“Très bien, prenez-les; vous pourrez aussi en tirer 100 yens…Je veux dire, vous vu le vent qu’il y a aujourd’hui ? Il vient du nord.

“Ooh, et moi qui pensais que tu n’allais plus jamais parier aux courses de bateau…”

“Nan mais cette fois-ci, c’est sûr que c’est la bonne…il y a quelque chose dans l’air; je le sens.”

“Tiens, mais c’est qu’elles sont trouées ces chaussures…”

“Ah, fait chier, j’ai bien fait de vous dire de les vendre pour 100 yens…on aurait au moins pu soutirer 300 yens au prêteur sur gage si les semelles tenaient encore….allez, file-moi ton argent maintenant, dépêche-toi – la finale va bientôt commencer…”

“Tu promets de ne pas mourir si on achète tes chaussures ?”

“Vous ne comprenez pas ou quoi ? Tant que vous êtes là, je ne peux pas mourir !”

Après avoir troqué sa paire d’écrases-merde pour une pièce de 100 yens, l’homme ne revint pas au portail en bois. Il s’engagea sur la voie par laquelle les jeunes garnements s’étaient enfuis et se faufila comme il pût au travers de leur passage secret. On entendit tout à coup un vacarme de chaussures piétinant le sol. Ces sales gosses venaient peut-être de décamper alors qu’ils avaient observé tout ce qu’il s’était passé depuis par un œillet improvisé. La grande sœur déposa sur le sol et avec précaution la paire de sabots qu’elle tenait jusqu’alors. Sa cadette les dégagea d’un coup de pied tout en conservant au rictus. Puis elles détachèrent la dépouille du chiot avant que la première n’aille s’en débarrasser dans le cours de la rivière adjacente. En conséquence de quoi le gardien laissa échapper un grognement tout en fermant les yeux. Il semblait percevoir deux ectoplasmes blancs à travers ses cils. C’en était trop pour lui: il n’en pouvait plus de se terrer dans son trou. Il s’avança dans sur le terrain vague tout en traînant avec peine sa jambe infirme et referma derrière lui d’un revers de main.

“Hé mesdemoiselles, ça vous dirait une pièce de 100 yens ?”

Sa voix était faible et stridente à cause de sa récente quinte de toux et ses narines étaient remplies de poils.

“Votre vieux là…cet espèce de déchet…j’ai jamais vu un abruti courir pieds nus juste pour aller parier sur une course de bateau…alors ? Vous voulez ces 100 yens ?”

Les deux enfants se demeurèrent muettes, le corps dos à la rivière mais la tête dans les nuages.

“Qu’est-ce que vous en dites ? 100 yens et vous le laissez tomber…le vent du sud, quelles conneries…il ne va rien arriver de plus aujourd’hui qu’hier…vous croyez pas ? Hein ? Dis petite, pourquoi est-ce que t’as tout le temps un sourire bizarre en coin ?”

Celui-ci s’accentua en retour…ce rictus faisait plus vrai que nature…et pourtant, elle se mit à pleurer à grosse larmes.

“C’est pas ma faute !” Tout en gémissant, elle se retourna et s’en alla.

“C’est comme ça depuis toujours !”

Tout en le fusillant du regard, l’aînée la rejoint. La première reprend en passant les chaussures que son excuse de père lui avait confiées; la seconde la ficelle; elles se dirigèrent ensemble en direction de la sortie.

“Hé, attendez s’il vous plaît ! Vous vous en fichez de ces 100 yens ?…Vous ne méritez pas un tel père, il faut que vous – l’abandonniez, laissez le mourir dans son coin…”

“Mais papa va peut-être décrocher le gros lot ce soir…”

“Tenez: 100 yens, je vous les offre ! Non, voici 200 yens ! Ça vous fait 100 chacune !”

Contre toute attente, la plus petite s’arrêta. Elle fît face à la marmite et colla son oreille contre un de ses orifices, puis s’exclama soudainement.

“Grande sœur, j’entends l’océan !”

Cette dernière se stoppa net.

“Tu veux pas plutôt dire le bruit du vent ?”

“Nan – c’est celui de l’océan; je te le dis ! Viens écouter, toi aussi ! On dirait qu’on est à la mer !”

Convaincue, l’aînée y jeta un œil. Le veilleur en profita pour lui attraper le poignet et lui enfonça une pièce de 100 yens dans le creux de la main.

“Tiens, pour toi !”

Elle ne songea même pas à se libérer de son emprise tant elle était absorbée dans sa recherche. Mais qu’est-ce qui pouvait bien les passionner autant ? Sa curiosité finit par prendre le dessus: il voulait voir ce qu’il y avait dans ce chaudron. Des rayons de lumières perçaient l’obscurité de l’habitacle au fond duquel une masse informe se mouvait. Qu’était-ce donc ? Même en fronçant les sourcils, il ne percevait rien de paticulier. Contrarié, il retenta l’expérience en fermant cette fois-ci les yeux…voilà !…Il n’y avait aucun doute, il ressentait l’océan !…Conscient de son existence en ce lieu, sa présence se concrétisa davantage…D’une vallée obscure surgit l’éclat de l’eau qui emplit tout son champ de vision jusqu’à qu’il ne put que voir celui-ci partout autour de lui.

“C’est un bateau…” Chuchota la grande fille. Lui aussi le voyait désormais. Mais seulement sous la forme d’un point blanc à l’horizon.

“L’océan va déborder du pot !” s’écria la sœur aînée; ce qu’il crut lui aussi, éloignant rapidement son visage du conteneur….Le monde alentour était revenu à son état initial: celui d’une décharge.

Une immense fatigue s’empara du gardien. Ses genoux menaçaient de céder sous son poids. Les gamines avaient déjà déguerpi avec les chaussures et le fil. De toute façon, il n’avait plus la force de les en empêcher. Il se demandait simplement si la cadette était vraiment née avec un tel visage ou bien si elle rigolait vraiment tout le temps. La nuit tomba. Les deux sœurs traînaient le long d’un pâté de maisons se trouvant sous la nationale, l’aînée charriant la corde derrière elle et la cadette portant les godasses. La rue était sombre, sans éclairage artificiel et retapée à l’aide de planches en bois à de multiples endroits. Droit devant se tenaient des quartiers tombant en ruine. Les fenêtres y étaient recouvertes de bois plutôt que de verre. En les décalant simplement, n’importe qui auraient pu se trouver n’importe où. Après avoir vérifié que leur père dormait comme un loir, elles se sont introduites par une entrée dérobée. N’y ayant en effet aucune porte, on pouvait aller et venir comme on le voulait. Les deux filles s’approchèrent de leur géniteur à pas de loup afin de l’entendre ronfler. C’était peut-être une mesure risquée, mais cela le restait beaucoup moins que ce qu’elles s’apprêtaient à commettre. Pendant quelques instants, celui-ci fît mine de remuer la tête l’air irrité avant de regagner un visage plus serein. Il fallait tout d’abord qu’elles passent la corde autour de son cou. Toutefois, la glisser entre ce dernier et le futon s’avérait aussi ardu que de passer un éléphant par le chas d’une aiguille. N’y avait-il rien d’autre dont elles pouvaient se servir ? Elles aperçurent le manche d’un balais. Leur vînt l’idée de l’attacher au bout du cordon pour en faire un point d’ancrage. Elles parvinrent ensuite à faire deux tours de fibre autour du col de leur future victime. Il ne restait plus qu’à lui faire subir le même sort qu’au chiot. Après avoir fixé une des extrémités au manche du balais, elles tentèrent de resserrer l’étau. Toutefois, le nœud mal fait et le futon gênant le passage les empêchent de mener leur forfait à terme. Alors que celui-ci allait se détacher, leur père changea inconsciemment de position, réduisant le fruit de leur travail à néant. Elles durent tout recommencer car le linon avait regagné du mou. Elles purent tout de même se réjouir que leur proie ne se soit pas retournée de l’autre côté. Il n’y avait plus de temps à perdre. Tout en prenant une profonde inspiration, les deux assassins se laissèrent pendre de tout leur poids. L’espace d’un instant, leur martyr ouvrit les yeux. Il fixa stupéfait ses deux enfants. L’homme essaya bien de parler: seulement, ce ne fut que sa langue bleutée qui parvint à sortir de sa bouche. Ce dernier tenta ensuite de s’extirper de sa potence, sans succès; il se débattit comme il pût et lorsqu’il n’eut plus de force, il convulsa trois fois avant d’expirer une ultime fois tout en lâchant prise sur l’arme du crime. Leur basse besogne accomplie, les deux filles avaient les poumons en feu. Elles reprirent longuement leur respiration sans s’adresser le moindre mot. Toutefois, elles remarquèrent au bout d’un moment un amoncellement de billets et de pièces s’écoulant de l’oreiller du vieil homme. Elles en extirpèrent une unique pièce de 100 yens, et à la place déposèrent soigneusement les vieilles chaussures de feu leur père.

“La Corde” et “Le Baton” font partie des premiers “outils” dont les hommes se servirent. Le premier servait à se défendre du mal, le second, quant à lui, servait à conserver près de soi ce qu’il nous était cher. Où que se trouvent les êtres humains, on y retrouvera toujours les concepts de “Corde” et de “Bâton”. Ils font partie intégrante de notre entourage et s’infiltrent dans tous les aspects de la vie quotidienne de chacun.

Août de l’An 35 de l’ère Showa (1960).

Traduction faite par Kowken le 17 octobre 2020 à partir de celle de Tim Rogers du 31 octobre 2019.

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