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Disco Elysium : Mon jeu de la décennie 2010-2020 (RShuman)

Une interview de Jullian Champenois (doubleur du personnage Kim Kitsuragi) a déjà été réalisé :

Avertissement : cet article ne contient aucun spoil .

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Artwork du jeu peint par Aleksander Rostov (directeur artistique)

Chaque décennie se voit traverser par un grand nombre de projets, qu’ils soient musicaux, filmiques ou vidéo-ludiques, hélas il n’est pas rare qu’au moment de faire les comptes seuls quelques noms restent dans notre mémoire, comme les marqueurs d’une “année particulière” ou d’une “expérience à part”. Le reste, sans être mauvais, s’efface souvent au rythme des années pour ne laisser que de maigres bribes de souvenirs heureux. Disco Elysium fait parti de ces titres uniques, qui ont réussit à sortir du lot et à s’avérer particulièrement marquant dans le cadre d’une décennie qui touchait déjà presque à sa fin. En développement depuis 2016 par le studio indépendant “ZA/UM” et sorti le 15 octobre 2019 après un report et un changement de nom transformant “No truces for the furies” en “Disco Elysium”, ce titre estonien est LA proposition de jeu de rôle qui vient renouveler un genre que les années 2010 avaient déjà bien transformé.

Disco Elysium étant l’oeuvre d’auteurs téméraires ayant due faire face à de nombreux échecs et de nombreuses remises en question avant d’aboutir, cette présentation s’ouvrira sur un bref résumé du parcours de sa tête pensante.

Une route vers le succès pavées d’échecs…

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Robert Kurvitz, lead designer et lead writer, est naît le 8 octobre 1984 à Tallinn, capitale de l’Estonie. Issu d’une famille d’artistes, il est le fils de Raoul Kurvitz, ancien architecte devenu peintre et performeur, et de Lilian Mosolainen, peintresse.

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La katedraal (cathédrale) – installation de Raoul Kurvitz
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Naine deemoniga (
Une femme avec un démon
) – peinture de Lilian Mosolainen

Raoul Kurvitz, en collaboration avec un camarade de classe, créera en 1986 une plateforme nommée le “Groupe T”. L’idée était de s’éloigner de la notion de “collectif”, pour mettre en avant divers artistes issus de milieux différents. Ils réaliseront des œuvres en rapport avec la performance, la peinture, le théâtre, la musique et la poésie avec une approche très extravagante qui ne sera pas sans rappeler celle d’un concert de rock (avec lumière, fumée, feu et autres effets) voir même celle d’une rave party (rassemblement festif dansant et plus ou moins secret des amateurs de house ou de techno, généralement dans un bâtiment désaffecté ou en plein air). Les critiques de l’époque reliaient principalement les activités du “Groupe T” aux concepts de postmodernisme, de transavangardisme et de décadence expressionniste. Le mode de vie extrême de Raoul Kurvitz lui vaudra de s’endetter de plusieurs centaines de milliers de couronnes (monnaie estonienne) et de vivre au bord de la famine plusieurs années (constituant l’enfance de Robert Kurvitz). Il se remariera trois fois, et s’auto-définira comme un “anarchiste romantique”.

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Raoul Kurvitz – Performance 8.III 1991

Lilian Mosolainen, rejoindra la plateforme et s’affirmera avec la vague de néo-expressionnisme de la fin des années 1980. Le “Groupe T” continuera de fonctionner jusqu’au début des années 1990.

En 1991, l’enfance de Robert Kurvitz se retrouve chamboulée lorsque la dislocation de l’ex-URSS permet à l’Estonie de retrouver son indépendance dans un processus de paix. Le pays quitte dès lors la sphère d’influence Russe de laquelle il était prisonnier depuis 1944 et commence à se revendiquer comme un pays nordique proche de la Finlande.

Notre génération est en grande partie formée par l’effondrement de l’Union soviétique, des années 90 à Tallinn et en Estonie, qui a été une période horrible. Il a donné naissance à la musique que nous avons écouté en grandissant, avec des paroles sérieuses et un poids conceptuel. L’Estonie n’est plus cet endroit. Maintenant, c’est Loser-Ville. Nous avons créé Skype, nous sommes devenus des résidents en ligne de l’e- capitale du monde. Les trucs sucrés sont déjà partis.  

Aleksander Rostov (directeur artistique)

Les archives de l’INA, nous permettent de contextualiser tout ceci et d’avoir quelques images de l’événement.

Nous pouvons cerner dans les enjeux, la question du port qui est un lieu essentiel dans le commerce de Tallinn et l’indépendance de l’Estonie vis-à-vis de l’ex-URSS, qui ne peut pas être “totale” (à cause de divers facteurs économiques). De nos jours, malgré l’entrée de l’Estonie dans l’Union Européenne et dans l’OTAN, le pays conserve un lien historique avec la Russie, puisqu’il avait déjà gagné son indépendance en 1917 lors de la révolution russe, avant de la reperdre en juin 1940 conformément au pacte germano-soviétique. Durant le développement de Disco Elysium, des journalistes remarqueront un buste de Lenine dans le studio, ce à quoi Robert Kurvitz répondra :

“Ce que j’aime dire à ce sujet, c’est que pour moi, c’est juste une tradition saine. C’est une question de loyauté, c’est le pays où je suis né. C’est ainsi que j’ai été élevé, c’est à la personne qu’on m’a dit de suivre, et je serais un vilain révolutionnaire, une sorte de rebelle énervé, si je n’avais pas Lénine sur mon bureau. Ce Lénine en particulier appartenait à Juhan Smuul” (un célèbre auteur estonien de l’ère soviétique avec lequel il se sent liés).

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

Il n’est pas rare de retrouver des bustes de grandes dirigeants chez les pays dont le communisme a disparu. La plupart du temps, ils sont exposés dans les restaurants, les ateliers d’artistes et les pubs, cela s’explique par le fait qu’une si grande quantité de buste a été construite qu’ils sont devenus des objets décoratifs. . Même si le cas de Robert Kurvitz semble plus être lié à l’attachement qu’il pouvait ressentir pour la personne qui le détenait avant lui et à un sentiment de nostalgie vis-à-vis de l’Estonie communiste de son enfance.

Robert Kurvitz arrête l’école à 15 ans et décide de créer son propre jeu de rôle papier (ou J.D.R.) pour se consacrer pleinement à ses deux plus grandes passions : la création d’univers et les J.D.R. comme Donjons et Dragons.

“J’ai toujours su que je voulais construire des mondes. Nous voulions faire quelque chose de vraiment étrange et ridicule. Notre objectif était de créer un monde pour mettre fin à tous les mondes, et c’est ce que j’ai fait.”

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

C’est d’ailleurs grâce à son J.D.R. steampunk plutôt que médiévale-fantastique, qu’à l’âge de 17 ans le peintre et futur directeur artistique Aleksander Rostov va entendre parler de Robert Kurvitz pour la première fois.

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Alekander Rostov (directeur artistique)
https://www.artstation.com/rostovjanka

Avant vous entendiez ces chuchotements à propos de mecs fous qui faisaient ce truc bizarre et obsessionnel de D&D (Donjons et Dragons) qui ne concernait pas les nains et les elfes mais des voitures à moteur et des personnes portant des chapeaux haut de forme. C’était comme du steampunk, mais pas du steampunk classique, il avait été inspiré par la Révolution française. Quand j’ai eu les matériaux, les photos des personnages et les cartes, en personne, c’était comme, “Oh, merde, c’est ce truc”.

Aleksander Rostov (directeur artistique)

En 2001, à l’âge de 17 ans, Robert Kurvitz choisi de devenir chanteur et guitariste pour un groupe de rock progressif du nom de “Ultramelanhool”, ce qui signifie en estonien “Ultra mélancolie”. “Ultramelanhool” s’inspirera principalement des groupes estoniens Metro Luminal (post-punk/rock alternatif ) et Vennaskond (punk rock et néo-romantique), tout deux originaire de Tallinn. Il réalise deux albums nommés Must apelsin (Orange noire) et Materjal (Matériel), sorti respectivement en 2004 et en 2008. ¨Parmi ces albums nous retrouvons des musiques nommées Oopiumiingel (Ange d’opium), Võililleväljad (Champs de pissenlit) ou encore Hümn korteripeole (Hymne pour une fête en appartement). Par manque de label, le deuxième album sera gratuit et auto-publié à l’aide de l’argent de l’héritage d’un ami de longue date. Lorsqu’on évoque cette période de sa vie, Robert Kurvitz répond “nous étions juste entrain de vivre dans la misère et la pauvreté”.

“Champs de pissenlit” (les paroles sont dans la description de la vidéo)

La rencontre qui va l’aider à sortir la tête de l’eau et à concrétiser une partie de ses efforts, est celle avec l’auteur et entrepreneur estonien nommé Kaur Kender.

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Kaur Kender (producteur exécutif)

Une fois que nous avons embarqué Kaur, tout a vraiment commencé parce que Kaur a cette super-puissance qui est très importante dans le capitalisme. Il comprend l’argent. C’est aussi un très bon écrivain, et cela arrive rarement ensemble.

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

En 2009, ils créaient le studio ZA/UM qu’ils décrivent comme un “mouvement culturel dans la veine du dadaïsme ou de Fluxus”.

Le dadaïsme (aussi nommé mouvement dada) est originellement naît à la suite des horreurs de la Première Guerre mondiale, pour rappeler qu’il existait toujours une vie malgré les désastres causés par les affrontements. C’est un courant qui se caractérise par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques. Tandis que le Fluxus est un mouvement d’art international et transdisciplinaire, naît à New York dans les années 60 et fondé sur l’héritage du dadaïsme. Il prône le non-art ou l’anti-art, ce qui signifie l’abolition de la frontière élitiste entre l’art et la vie et entre les différents champs artistiques.

En ce sens, le studio ZA/UM déclare user du jeu-vidéo comme d’un support similaire au théâtre ou à la peinture, et revendique être un groupe “qui partage une passion pour la culture humaine ambitieuse et une haine de l’élitisme”. Cette revendication est visible dans leurs communications, puisque le studio a déjà présenté chacun de ses employés lors du développement :

https://twitter.com/studioZAUM/status/1083764898943959040?s=20

Ainsi que ses divers sources d’inspirations (sur twitter et steam) pour Disco Elysium :

https://twitter.com/studioZAUM/status/1181260632131325953?s=20

https://store.steampowered.com/newshub/app/632470/view/3334287173823797600

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On peut y trouver les frères Strougatski, qui avait déjà été une source d’inspiration pour Hideo Kojima sur Death Stranding.

Ce rapport à l’art se retrouve aussi dans les initiatives personnelles prisent par certains membres du studio. Ci-dessous, l’initiative de Alekander Rostov (directeur artistique à droite du cadre) qui a commencé comme un petit rassemblement entre ami pour s’entrainer au dessin de croquis (dessin rapide et sommaire d’un modèle vivant, et généralement réalisés en quelques minutes, après quoi le modèle change de pose) est devenu un rassemblement populaire ouvert à d’autres artistes avec des journées à thèmes.

Mais ZA/UM fait aussi de son mieux pour rendre son jeu le plus accessible possible. Disco Elysium est multi-plateforme, traduit dans plusieurs langues (selon les langues que réclame la communauté sur le site officiel qui contient un sondage ouvert à tous) et optimisé pour tourner au mieux sur de vieilles machines. Il est rare qu’on y prête attention par habitude que tout nous soit acquit, mais il est tout de même bon de reconnaître que ZA/UM fait de grands efforts (surtout pour le premier jeu d’un studio indépendant qui s’auto-édite).

L’avancement de la traduction des différentes langues ainsi que les sondages pour en voir apparaître de nouvelles sont disponibles sur ce site : https://internationale.zaumstudio.com/

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Selon Robert Kurvitz, la barre oblique du logo représente l’équipe comme “quelque chose qui existe définitivement et pèse huit tonnes.”

Le nom du studio “ZA/UM” provient de “Zaoum” qui désigne un type de poésie futuriste russe qui vise à l’organisation des sons pour eux-mêmes : où tout le poème est tourné vers le côté phonique du discours. Traduit littéralement, le préfixe russe “za” signifie “au-delà” tandis que le mot “oum” signifie “esprit”, la combinaison des deux peut-être traduite par “trans-mental” (au-delà de l’esprit). Cet emprunt à la poésie n’est pas anodin, puisque l’oncle de Robert Kurvitz nommé Andres Allan Ellmann était un ancien punk et un ancien hippie, reconvertie en poète mystique d’après-guerre.

En 2011; le studio ZA/UM annonce au nom du groupe un troisième album du nom de “Fantastika” avant de ne plus donner de nouvelles sur le projet, et Robert Kurvitz collabore avec son père sur l’album “Forbidden to Sing” , en fournissant des chœurs et un synthé. Cet album reçoit le prix annuel de “la dotation culturelle estonienne”. Des extraits vidéos réunissant le père et le fils sur la même scène sont visibles ci-dessous :

Le concert date de 2011. Robert Kurvitz est au micro, tandis que son père est assit à droite.
Robert Kurvitz est à la batterie, tandis que son père est au micro. On peut y voir l’aspect très rock’n roll/rave party des performances.

Le concert avait eu lieu dans une usine de culture de polymères, et rassemblait divers artistes estoniens axés sur la musique expérimentale (Raoul Kurvitz est décrit comme “industriel et sauvage”, et la soirée voit défiler les groupes Potinstrumentum, Roomet Jakapi, Erik Alalooga). À la fin de la première vidéo, on peut constater que Robert Kurvitz tient à la mains une bouteille d’alcool déjà entamée, ce qui “pouvait” peut-être annonciateur de son futur alcoolisme (que nous aborderons plus tard).

En 2013, après 5 ans d’efforts et grâce au soutient de son ami écrivain Kaur Kender, Robert Kurvitz publie son premier roman nommé “Sacred And Terrible Air”. L’histoire se déroule dans le même univers que le J.D.R. qu’il avait crée dans sa jeunesse, et le synopsis officiel est le suivant :

“La veille du dernier jour des vacances d’été, quatre filles de la ministre de l’Éducation Ann-Margret Lund disparaissent d’une plage publique. Lors de son voyage inaugural, un navire nouvellement béni transportant 1500 passagers disparaît. Trois camarades de classe des filles ne renonceront pas à enquêter même après vingt ans. Le monde s’effondre, mais l’espoir de retrouver les enfants de Lund n’est pas encore perdu.”

Synopsis officiel de “Sacred And Terrible Air”

Histoire d’offrir tout de même une idée concrète de l’œuvre, un extrait du roman ainsi que des concepts-arts officiels sont disponible ci-dessous :

“Un être humain complètement détruit fume dans la taïga nouvellement intangible et engloutie du nord-est de Samara, dans l’écorégion de Nad-Umai. À vingt kilomètres au sud, le monde commence, avec la République populaire de Samara. À quatre mille kilomètres au nord-est se trouve la rivière Katla, et personne ne sait ce qui se trouve entre les deux. C’est une nuit d’hiver, mais des milliers de personnes se sont rassemblées dans le port. [—] Les gens agitent la main, ils disent au revoir au dirigeable qui monte dans le ciel. Un cygne de bois et de nickel se lève dans un tourbillon, agitant des paniers du balcon aux passagers du premier vol interisolaire au monde: des marins fièrement vêtus, une aventure sans précédent à venir”.

Extrait du roman.

Son œuvre reçoit un grand nombre de critiques positives et est décrite comme le “salut des années 2000 disparu” de la prose littéraire estonienne. La théoricienne littéraire Johanna Ross; dira de son roman qu’il arrive à “combler le fossé entre la science fiction et la littérature à proprement dite”. Tandis que l’expert de science-fiction Jaak Tomberg classe le roman dans le “Réalisme fantastique” et la “Littérature de construction mondiale”.

“D’un point de vue théorique,” Sacred and Terrible Air “réussit à unifier dynamiquement deux genres qui jusqu’à présent étaient assez séparés dans le système conventionnel des genres : à savoir réaliste et fantastique”.

Jaak Tomberg (chercheur en littérature et en philosophie)

Son style se distingue par le fait qu’il s’appuie en grande partie sur les traditions de construction de monde tel que Dungeons et Dragons. Néanmoins, si le roman “Sacred And Terrible Air” reçoit des critiques flatteuses, il parvient moins à satisfaire les lecteurs. Une grande partie d’entre eux, reproche à son auteur d’avoir une fin “non-satisfaisante” et un récit difficilement compréhensible (car non-linéaire):

“Le problème avec un livre papier est qu’il s’agit d’un produit fini avec un début et une fin – et en tant que tel, ses extrémités ouvertes et ses sauts maladroits ressemblent à des erreurs. C’est peut-être une extension des limites du «roman estonien» en tant qu’institution, mais ici cela ressemble plus à une erreur de livre causant la plupart des critiques à son égard.”

https://www.ulmeajakiri.ee/?raamatuarvustus-puha-ja-oudne-lohn

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“Si le livre avait eu une fin concrète, je n’aurais probablement pas regretté de l’avoir lu non plus. En fait, je ne le regrette pas maintenant, mais l’absence de fin concrète me rend toujours triste. C’est pourquoi je ne peux pas dire avec mon cœur que c’est un bon livre, certainement pas, au contraire, c’est plutôt un livre incomplet en termes de contenu. À la fin, lors de la fermeture du livre, au lieu du plaisir esthétique fini, il y a encore du vide dans l’âme.”

Exemple de deux critiques estoniennes à l’égard du roman.

Le roman s’ouvrant avec la phrase “Prologue du cycle du roman”, tout ceci était intentionnel mais n’a pas su plaire aux lecteurs. La première critique sur le fait que la nature du roman (en tant que medium) implique que le produit doit être fini, explique peut-être pourquoi le revirement vers le jeu-vidéo a si bien fonctionné (avec une narration plus apte à être morcelée, et la rejouabilité du jeu).

Toujours en 2013, Robert Kurvitz démissionnera de son rôle de rédacteur en chef du magazine culturel estonien “Sirp” lorsque Andres Aule exprimera publiquement son mécontentement à la publication d’un poème sans sa permission.

Après un échec commercial dans lequel son roman ne s’écoulera qu’à un millier d’exemplaire, la perte de son travail et l’annonce d’un troisième album qui reste sans suite pour le groupe “Ultramelanhool”, Robert Kurvitz, déjà habitué aux substances psychoactives, sombre dans un profond alcoolisme. Kaur Kender, ayant participer à l’écriture de “Sacred And Terrible Air” et se sentant naturellement redevable envers son ami puisque ce dernier l’avait déjà aidé à sortir de son propre alcoolisme, décide de prendre les choses en mains. Ainsi sur les conseils de ses enfants, Kaur Kender va sonner à la porte de Robert Kurvitz pour lui proposer de faire un jeu-vidéo à partir de l’univers de son roman :

“Mes enfants me disaient :” Arrêtez d’écrire des livres! Personne ne lit des livres! Vous devriez vous lancer dans les jeux vidéo “

Kaur Kender (producteur executif)

D’abord réticent à l’idée de s’investir dans un jeu-vidéo alors qu’il se croit personnellement condamné à dépérir à cause de l’alcool, Robert Kurvitz écrit tout de même un synopsis d’une page censée résumer ce que devait être Disco Elysium. Sur cette page apparaissaient donc les idées clés suivantes : un policier des années 70 dans un cadre original “fantastique réaliste”, avec des épées, des fusils et des automobiles, le tout réalisé comme un CRPG isométrique qui soit une réinterprétation moderne de Planetscape : Torment et Baldur’s Gate et qui situerai l’action dans un vaste ghetto frappé par la pauvreté. A partir de là, Robert Kurvitz se retrouve inspiré par l’idée du ghetto, cet espace confiné lui permettait d’entre voir un certains potentiel dans les diverses ramifications qu’il pouvait écrire entre les personnages et les lieux; et à mesure que ses idées se complexifiait, Robert Kurvitz trouva le courage d’accepter la proposition de son ami Kaur Kender. Mais tout ne fut pas si simple, puisqu’ils durent faire face à d’autres complications.

 Alekander Rostov (directeur artistique) : “L’idée que vous pouviez créer un jeu vidéo à Tallinn était complètement ridicule.”

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer) : “Et surtout un jeu de rôle, car le RPG est comme le joyau de la couronne, la chose la plus compliquée à faire. Tout le monde disait que vous ne pouviez pas le faire. Un RPG en monde ouvert, vous-êtes fou? J’avais juste l’impression que c’était complètement au-delà de toutes nos capacités, au-delà de tout ce que nous pouvions faire financièrement, même intellectuellement.”

L’Estonie ne comptant dans ses rangs qu’un studio de jeu mobile, Kaur Kender et Robert Kurvitz partirent tout deux en quête de main d’œuvre et de fonds. Tandis que Robert Kurvitz vivait dans un squat, Kaur Kender décida de vendre sa voiture (une vieille ferari) afin que le projet puisse avoir un début. Par la suite, ils furent tout deux rejoint par Alekander Rostov, qui avait déjà proposé quelques unes de ses peintures pour le roman ” Sacred and Terrible Air “, et qui devenu automatiquement le “directeur artistique” de Disco Elysium. Les fonds nécessaires au reste du développement vinrent progressivement, par le biais d’amis et de contrats. La première année du développement Robert Kurvitz et Alekander Rostov se retrouvaient ensemble pour dépeindre l’univers du jeu, l’un à la plume, l’autre au pinceau, ils cherchaient ensemble l’identité visuelle du titre.

«Les deux plus grandes faveurs que quiconque m’ait jamais faites dans ma vie sont l’éducation politique des groupes punk estoniens et ce que Chris Avellone a fait avec Planescape: Torment . Les groupes punk m’ont fait traverser ma vie jusqu’à mes 27 ou 28 ans, et les contributions de Chris Avellone aux jeux vidéo m’ont fait dépasser 29 ans. Je ne pense pas que j’aurais eu l’imagination de penser que vous pouviez être aussi ambitieux et littéraire dans les jeux vidéo. “

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)
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“C’est essentiellement l’Amérique à cheval sur la pauvre vieille Europe de l’Est, une autoroute sans rampe, qui se propage à l’horizon”
Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)
+ Concept art de Disco Elysium réalisé par Aleksander Rostov

“C’était une période tellement agréable, expérimentale et exploratoire. Je suis fier de ma connaissance de l’histoire des jeux vidéo et de la façon dont les jeux se sont développés visuellement, et maintenant j’étais en mesure de puiser dans ces idées et de proposer une esthétique visuelle soignée”.

Alekander Rostov (directeur artistique)

Dès le commencement du développement, Robert Kurvitz sous l’aile de son ami Kaur Kender, va reprendre sa vie en mains. Ainsi, il va cesser de prendre toute forme de substance psychoactives (ce qui inclus l’alcool), avant de redormir à heures fixes et de refaire du sport. Le but derrière tout ceci était de réellement repartir du bon pied et d’exorciser son mal-être dans la création de son propre jeu-vidéo. Son personnage principal, reflet de ses addictions passées, va donc devenir un alcoolique et son œuvre va traiter des ravages de la boisson et de la reconstruction des individus. Durant le développement, Robert Kurvitz confiera en interview que les abus autour de l’alcool sont un réel problème de société.

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Motion capture de Robert Kurvitz pour le réveil et la gueule de bois du héros du jeu.

Vraiment, au fond de leur âme, les gens savent qu’ils ont un petit problème d’alcool…Je veux dire si vous buvez quelque chose chaque semaine et que vous ne pouvez pas vous connecter à vos amis sans cela, c’est peut-être un peu problématique. Peut-être que ce n’est pas seulement le gars de la rue qui succombe absolument aux pires ravages génétiques de l’alcoolisme, peut-être que nous, en tant que société, sommes aussi un peu dépendants du piquant de ce champignon qui nous a colonisés.

Sérieusement, je pense que c’est un problème très très sérieux; c’est plus grave que les gens ne le pensent … C’est un problème extrêmement important pour la société humaine en général, et même politiquement pour se demander: ‘Pouvons-nous construire une réalité et y faire face sans nous matraquer à mort en buvant de l’alcool tous les jours? Puis-je être ami avec les gens et simplement les rencontrer? L’homme peut-il trouver un moyen de se reproduire et de rencontrer un compagnon qui n’implique pas huit litres de vin sur la table ? Ce sont des défis qui n’ont pas encore été relevés et je suis intéressé de voir où cela va.

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

Puis dans une autre interview Robert Kurvitz nous fera comprendre que Disco Elysium représentait un “must existentiel”, et qu’il l’a réalisé comme son ultime chance de concrétiser un projet et de sortir de la misère qui l’affectait depuis plusieurs années.

Si vous avez, totalement l’impression, que vous allez devenir un clochard, que vous n’allez pas payer votre loyer, que vous allez perdre votre appartement et que vous devez faire quelque chose, puis que vos amis veulent faire un jeu vidéo – comme c’était mon cas – si cela ressemble à un must existentiel et que vous mourrez si vous n’y arrivez pas… alors faites-le, car c’est très possible, je pense. Il doit être effrayant de voir combien vous voulez le faire, car c’est très difficile.

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)
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Photo de l’ancien studio “ZA/UM” en Estonie (publié sur le discord officiel du jeu)

Tout ceci nous conduit donc au résultat final, à savoir Disco Elysium… Un jeu se passant dans le même univers qu’un roman, lui même écrit sur les fondations d’un jeu de rôle papier. Mais qu’est ce que Disco Elysium et par où commencer dans la présentation de cette œuvre quand on en a déjà tant dit ? Commençons donc par ce qui va nous permettre de mettre en lien l’esprit de son auteur et le personnage principal du jeu.

Une création de personnage qui est simple, originale et intéressante.

“We are magnificent machineries of joy. Machines of joy and then some.”

Yan Scott Wilkinson (chanteur et guitariste du groupe British Sea Power à l’origine de la bande originale du jeu)

Tout débute à l’écran de création du personnage puisqu’il n’est pas question de créer une apparence, mais plutôt un profil psychologique basé sur un nombre très restreint de points de compétences, imposant de lui-même la création d’une forte personnalité. En effet ; il est difficilement acceptable pour le joueur de créer « Monsieur tout le monde » en répartissant de manière égalitaire chaque point, puisque cela entraînerait un nivellement par le bas de chaque habilité. Il y’a un total de 8 points à partager au sein de 4 habilités, nécessitant au minimum d’être à 3 pour être considéré comme étant au niveau “moyen”. Il faut donc faire un choix sur la « personne » qu’on désirerait être, en négligeant sciemment des aspects de notre personnalité. C’est une des raisons pour lesquelles des profils caricaturaux (ou archétypes) sont pré-faits dans le menu de création du personnage. Toutefois, l’idée initiale est la suivante : Etre un minimum bon dans une catégorie, nécessitera d’en négliger une autre.

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Un penseur ? Un être sensible ? ou bien, une armoire à glace ?

Les différentes habilités au sein desquelles le joueur distribue son faible nombre de points sont : l’intellect, la psyché, le physique et la motricité (deux catégories pour l’esprit et deux catégories pour le corps). Une fois le profil réalisé, chaque habilité se subdivise en six skill ou traits de caractères. Par exemple, l’intellect se subdivise en Logique, Encyclopédie, Rhétorique, Art dramatique, Conceptualisation et Calcul visuels. De ce fait, chaque trait de caractère hérite naturellement du même nombre de points que son habilité. Sur cet écran, le joueur est donc uniquement amené à choisir son “skill signature”, ou autrement dit son trait de caractère le “plus” fort.

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Des portraits effrayants pour représenter chaque facette de la psyché humaine.

La subtilité de ce système est que le nombre de points ne définit pas un niveau de maîtrise, mais la prédominance d’un trait de caractère sur un autre. En effet, dans Disco Elysium, les dialogues avec les personnages se déroulent sur deux plans : dans un monde intérieur dans lequel on est replié sur nous-même, et dans un monde extérieur dans lequel on s’adresse directement aux personnages qui nous font face.

Dans la littérature, les dialogues sont entrecoupés de pensées, d’émotions, d’arrière-pensées et de phénomènes physiques qui se produisent au sein des personnages pendant qu’ils parlent. Cela se présente sous la forme de parenthèses, de courants de conscience, d’interjections d’auteur, etc. Toute une pléthore de dispositifs littéraires. Nous voulions le faire sous forme de jeu. Pour décrire ce qui est sous la surface: le moment où une idée se forme, le sentiment d’illusion de soi, rire secrètement parce que vous avez inventé une blague stupide. Ensuite, essayez de savoir si vous devez la dire ou non…

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

Un système de dialogue novateur mit au service d’une narration exceptionnelle.

L’idée derrière le système de dialogue est que les traits de caractères vu précédemment sont des personnages à part entière qui interfèrent dans les choix de réponses du héros. Chaque dialogue suit un cheminement type :

Le joueur ouvre une discussion avec un PNJ => le PNJ pose une question ou dit quelque chose en rapport avec la situation => nos traits de caractères ayant le plus de points (ce qui comprend le “Skill signature”) interagissent entre eux et rebondissent à tour de rôle sur les propos tenues par le PNJ => puis le joueur intervient et donne raison ou tort à un de ses traits de caractère en sélectionnant une réponse parmi toutes celles permises par les discussions de ses derniers.

L’ensemble dispose d’une architecture proche de celle des jeux de rôles papier puisque chaque intervention d’un trait caractère est causée par un lancé de dé ayant lieu en tâche de fond. Le trait de caractère qui a le plus de point bénéficie d’un bonus qui lui permet de réussir plus souvent ses propres lancés et d’apparaître plus souvent dans le fil de la discussion. Tout ceci donne une dimension organique au déroulement des dialogues et ce, sans que le joueur n’ait besoin d’intervenir dans le processus.

Selon le profil psychologique du joueur, certains traits de caractère n’auront pas suffisamment de points pour réussir leurs lancé de dé et priveront le joueur de choix de dialogues, d’observations, d’informations essentielles et/ou d’embranchements dans le scénario. Un exemple extrêmement basique est montré ci-dessous.

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Une différence qui changera le “ton” du dialogue entre vous et lui.
Le “Easy : Succes” ou “Easy : Failure” témoigne du lancé de dé réussie ou pas.

Le jeu bénéficie aussi de “white check” et de ‘”orange check”. Il s’agit de lancé de dé que le joueur doit réaliser lui-même et qui ne sont plus fait en tâche de fond. Les “white check” concernent des actions que le joueur peut essayer de faire plusieurs fois, elles présentent généralement peu de risque et n’engage que lui-même (exemple : se regarder dans le miroir pour se souvenir d’un événement particulier). En revanche, les “orange check” concernent des actions et des dialogues que le joueur ne peut essayer qu’une seule fois et si jamais le lancé de dé échoue, le joueur se retrouve soit avec une action extrêmement maladroite, soit avec un dialogue extrêmement embarrassant. Dans l’exemple ci-dessous, l’échec amène le personnage principal à perdre tout ses moyens en voulant se faire respecter par une adolescente.

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Avoir un profil psychologique sans la moindre autorité peut vite nous faire tomber dans le ridicule.

Dans Disco Elysium l’échec n’est jamais un game over, il débouche toujours sur une situation grotesque, déprimante ou hilarante, mais le jeu maîtrise toujours avec une grande finesse les réactions de son protagoniste. Ici, le héros peut faire une crise existentielle ou une crise d’angoisse, un malaise, une tentative de suicide, une mauvaise blague, une approche de drague foireuse ect. Tous les échecs le rendent plus humain, plus attachant et plus crédible car son écriture le place en dehors du stéréotype du héros. Il est plus proche d’un personnage de roman.

Nous voulons que l’échec ultime – vos amis vous abandonnent ou que vous perdiez votre emploi, la seule chose qui signifiait quelque chose dans votre vie – soit également une expérience satisfaisante. Côté histoire, côté personnage. Emotionnellement pas tant. Nous avons écrit les états d’échec dans ce jeu avec beaucoup plus de détails et de réalisme psychologique que les jeux présentent généralement un échec. Vous ne perdez jamais de contenu à cause d’un échec, le contenu devient simplement plus misérable – et beaucoup plus drôle aussi. Alors oui, de cette façon, l’échec est aussi amusant.

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

Le jeu a donc été construit de telle sorte à ce que nos échec fassent parti de l’aventure comme ils font partis de la vie. Ce qui n’est pas sans rappeler une certaine déclaration du directeur artistique Aleksander Rostov, qui voyait dans le succès une forme de vacuité.

 Je pense que gagner est terriblement ennuyeux. Gagner se produit une fois et vous laisse une gueule de bois terne. Il n’y a plus rien à faire après que vous ayez gagné, seulement la légère dépression de savoir que vous l’avez fait et en vertu de cela, «ça» est maintenant fait et disparu. La lueur de la victoire est un faux confort. Et même personnellement pour nous, l’échec nous a traqués pendant longtemps – avant tous ces jeux vidéo, nous n’étions que des écrivains et des artistes infructueux. Lorsque nous avons décidé de nous lancer dans cette activité de création de jeux vidéo, nous l’avons fait en disant: “Nous avons échoué à tant de choses, laissez-nous échouer à créer un jeu vidéo!”

Aleksander Rostov (directeur artistique)

Tout ceci participe à l’idée que le joueur n’incarne pas un “héros” auquel il modifie l’apparence en début de partie, mais plutôt un “être humain” à l’intérieur duquel il confronte ses courants de pensées. D’ailleurs, les pensées de notre héros s’expriment de deux manières bien distinctes. La première fonctionne comme une application conceptuelle de ce qu’on appelle “l’esprit de l’escalier”.

L’esprit de l’escalier est une expression française signifiant que l’on pense souvent à ce que l’on aurait pu et dû dire de plus juste, après avoir quitté ses interlocuteurs (lorsqu’on se retrouve au bas de l’escalier de leur demeure). Ainsi lorsque le joueur va quitter une conversation ou visiter un lieu, une bulle de la couleur du trait de caractère qui demande notre attention va apparaître, s’il clique dessus le joueur fera apparaître un écran de dialogue ou une minuscule fenêtre (si aucun choix de dialogue n’est nécessaire) dans lequel un trait de caractère va partager une opinion sur ce que le personnage aurait dû dire ou aurait dû faire cinq minute avant ou encore sur un détail des lieux, une sensation (froid, sixième sens, douleur), une odeur ou un bruit (le parfum des fleurs ou le bruit des vagues). Tout devient tangible pour le joueur.

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Une idée ? (gif de l’alpha)

“Notre espoir était de rendre le personnage du joueur dans les moindres détails – chaque pensée, obsession, contraction musculaire”.

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

La deuxième manière par laquelle s’expriment nos pensées concernent le “cabinet des pensées”…

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Un inventaire pas comme les autres !

Le cabinet des pensées que vous pouvez voir au-dessus, est un “inventaire”. Lorsque le joueur discute avec un PNJ, il confronte son apparente “neutralité” politique aux divers courant idéologique faisant parti de l’univers du jeu. Ainsi chaque conversation débouche sur une réflexion sociétale, un état d’esprit ou une idéologie unique qui, si on en fait le choix, peut avoir une certaine incidence sur l’esprit de notre héros. Par exemple, si le joueur se confronte à un raciste, il peut sciemment faire le choix, par le biais de dialogue, d’adhérer à sa thèse ou de la rejeter. S’il adhère à la thèse raciste, il débloquera automatiquement le courant de pensée “raciste”. Ce courant de pensée, qu’il faudra laisser mûrir un certains temps in-game, pourra par la suite être rangé dans l’inventaire (ou le fameux cabinet des pensées) afin d’influencer ses statistiques, d’avoir divers options de dialogues supplémentaires et une réécriture de certains dialogues du jeu (faisant parti du squelette de l’aventure). Le personnage devient un raciste, mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, car l’univers de Disco Elysium comprend un grand nombre d’idéologie allant du courant politique dit “classique” (communisme, fascisme, libéralisme, moralisme, féminisme, hobocop ect) à des idées plus “mystiques” ( deuil blanc, jamais-vu, policier de l’apocalypse).

Les dialogues et les courants pensées s’influencent donc mutuellement, c’est un cercle vertueux où “dialoguer” devient un rouage qui fait progresser la narration (puisque certains courants politiques influencent l’évolution du scénario). Toutefois le jeu ajoute un dernier système en tache de fond pour faire tenir l’ensemble et il s’agit de la découverte de notre “profil”. Puisque si l’on est effectivement “libre” de choisir ses courants politiques, on peut aussi accepter de se soumettre au jeu qui, de son côté, va soigneusement décider selon nos réponses, à quel profil nous correspondons le plus. Le jeu comprend ainsi cinq profils différents pouvant une énième fois, influencer les dialogues, notre rapport aux autres et nos courants de pensées.

Tout ce système permet à Disco Elysium de se défaire avec une aisance remarquable des impératifs commerciaux et techniques visant à intégrer des combats et des barres d’xp dans son jeu pour nous faire progresser. Ici, le joueur confronte sa vision du monde et ses idées aux autres, mais le jeu ne comprend quasiment aucune phase d’action. Ce qui imprègne d’une certaine forme de réalisme et surtout de pacifisme le message délivré par le studio ZA/UM. On ne va pas régler un problème par la violence, on va même tout faire pour l’éviter.

L’ensemble témoigne de la folie qui anime chaque processus de pensées de l’esprit humain, et montre une lutte interne (entre dépression, angoisses, envie de bien faire, et égo) comme résultante de toute la complexité du monde. Ce qui n’est pas sans rappeler le fait que le jeu se nommait initialement “No truces for the furies” soit en français “Pas de trêve pour les furies”

Mais que nous raconte précisément le scénario de Disco Elysium ?

Un scénario extrêmement intelligent

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“Cela commence comme une sorte de blague de fête. En gros, vous vous réveillez par terre dans le “Dude, Where’s My Car?” des jeux vidéo. 
Mais écrire le jeu avec l’ambition humanitaire que nous voulions fait que cela ne pouvait pas rester une blague. Dans les RPG, le personnage amnésique a généralement une sorte de malédiction et une ombre sombre le chasse, et la nôtre était l’alcool.”

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

L’histoire de Disco Elysium emprunte un “cliché” propre à un grand nombre de RPG, à savoir celui de nous faire commencer avec un “personnage amnésique”. Ce procédé est très souvent utilisé car il facilite l’écriture, la création d’enjeux et permet aux joueurs de se reconnaître plus facilement en leurs héros. Dans Disco Elysium, ce cliché fonctionne extrêmement bien car il se combine au système de dialogue vu précédemment qui nous permet de “créer” la psychologie même de notre héros et donc de débuter l’aventure avec une “page blanche” (vierge de toute idée sur le monde).

Le héros étant amnésique jusqu’à avoir oublié son nom et son propre visage, mon résumé de l’intrigue principale va s’en tenir au strict minimum : Nous incarnons un policier décrit comme une “honte pour l’uniforme”, le lendemain d’une soirée alcoolisé lui ayant fait perdre la mémoire. Il découvre à son réveil qu’il est à Martinaise (quartier portuaire du jeu) afin de résoudre une affaire de meurtre sur un pendu caché derrière la cours d’un hôtel. Le jeu est donc une double enquête : Il nous faut élucider un meurtre et découvrir qui nous sommes.

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Concept art

Tout ceci entre parfaitement en symbiose avec l’idée d’un système de dialogue dans lequel nous nous remplissons des idées qui font le monde. Puisque notre rôle de policier va nécessairement nous pousser à effectuer divers interrogatoires, à en apprendre plus sur chaque intervenant qui va dès lors nous renvoyer à notre propre condition et nous interroger sur qui nous sommes. L’aventure a l’intelligence de nous offrir pour notre enquête un acolyte extrêmement bien écrit, dont le caractère pragmatique contraste avec notre héros et nos habitudes de joueur. Les rappels à l’ordre de cet acolyte du nom de Kim Kitsuragi, parviennent ainsi à tout autant toucher notre héros que le joueur derrière l’écran (quitte à caresser subtilement le quatrième mur).

L’univers du jeu peut être classé dans le “réalisme fantastique”. Ce mouvement se présente comme un courant de pensée et de recherche à vocation scientifique, ayant pour objet l’étude de domaines considérés comme exclus à tort par la science officielle : phénomènes paranormaux, alchimie, civilisations disparues, etc. Ses adeptes estiment parfois que le cerveau humain disposerait de pouvoirs sous-exploités, et que l’humanité a peut-être établi des contacts avec des extraterrestres, notamment sous d’anciennes civilisations disparues.

 « On définit généralement le fantastique comme une violation des lois naturelles, comme l’apparition de l’impossible. Pour nous, ce n’est pas cela du tout. Le fantastique est une manifestation des lois naturelles, un effet du contact avec la réalité quand celle-ci est perçue directement et non pas filtrée par le voile du sommeil intellectuel, par les habitudes, les préjugés, les conformismes. »

“Le Matin des magiciens” – Livre de Jacques Bergier et Louis Pauwels

La notion de pouvoir sous-exploité par le cerveau humain se retrouve totalement dans le système de dialogue où le portrait de chaque trait de caractère se révèle extrêmement effrayant, et où certains d’entre eux (comme shivers ou “frissons” en français) ont une dimension mystique qui dépasse le simple cadre de nos émotions :

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“L’inland Empire” inspiré par David Lynch.
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“Frisson” ou notre sixième sens.

De manière plus terre-à-terre, le directeur artistique Aleksander Rostov décrit l’univers du jeu comme “modernopunk” :

Le jeu se déroule dans une période de guerre froide dans un monde qui n’a jamais existé. Remplacez les éléments scientifiques futuristes de la science-fiction par la modernité et vous obtenez…. Modernopunk? Un monde de Bauhaus et de Dada, de polices et de transistors néo-grotesques, de communistes et de fascistes et de vieilles démocraties ennuyeuses. Au large des côtes, vous pouvez parfois apercevoir des navires de guerre de la coalition aéroportée pour maintenir la paix. Ils sont maintenus à flot avec une lévitation magnétique. Au-delà de l’horizon, il y a l’intangible qui divise les continents. 

Aleksander Rostov (directeur artistique)
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Concept art d’une automotrice

“Elysium, notre projet de construction, consiste à savourer le monde, à l’apprécier, à découvrir des choses nouvelles et intéressantes sur le monde. C’est pour les gens qui ont lu tout Wikipédia et qui en veulent plus. Un autre monde aussi crédible et terrifiant que le nôtre, un outil pour analyser le nôtre.”

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

Par ses anachronismes et son caractère fantastique, Disco Elysium présente aux joueurs un “miroir déformant” de la réalité. Son scénario s’inspire ainsi des nombreuses révolutions qu’on pu connaître la Russie et la France (notamment “La commune”), et s’attarde avec un grand respect sur les populations mises de côtés. C’est-à-dire celles qui souffrent du changement ou qui le refusent, celles qui restent nostalgique d’un passé pourtant triste. Le travail de Robert Kurvitz et de son équipe, parvient à immiscer le joueur dans l’intimité de ses personnages et à en faire ressortir ce qu’il y’a de plus beau par le biais de problématiques adultes.

“Les réels ravages que les gens rencontrent sont d’ordre économique et personnel. L’épuisement des rêves, le ralentissement qui nous fait succomber à l’alcoolisme et surtout le chagrin et la déception chez les êtres humains…Il est également tout à fait possible de pleurer le décès de quelqu’un qui vit encore, ce que chacun de nous a fait littéralement à un moment de sa vie. Certaines choses se terminent et nous ne voulons tout simplement pas qu’elles le fassent. Mais les gens prennent des décisions, ils se quittent mutuellement. Les amis vous quitteront, les amoureux vous quitteront – ils ne mourront pas et ne laisseront pas derrière eux la cassette vidéo produite par Dead Wife Pictures Presents.”

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

L’ensemble se révèle très intelligent dans chacune de ses mises en situation puisqu’il parvient toujours à implémenter une dynamique autour des dialogues et des idées reçu que peut avoir le joueur. Par exemple, le jeu n’hésite pas à mettre un enfant crapuleux sur la scène du meurtre (histoire de mettre dans l’embarra notre héros), une vieille femme délirante dans une enquête sur un trafic de drogue (pour semer le doute), ou un homme fort et orgueilleux qui gagne en confiance grâce à sa troupe, mais qui pourra être trahit par cette dernière (si le joueur se révèle suffisamment malin).

Disco Elysium cherche à dépeindre une vision fantastique de son monde, tout en l’encadrant de problématiques propre à notre réalité.

Notre génération a grandi plus pauvre et avec moins de sécurité sociale que la génération de nos parents. C’est plus difficile pour nous et je pense qu’il est temps que les jeux reflètent cela.

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Le téléphone de bureau est l’invention la plus réaliste de l’histoire de l’humanité. Aussi puissant que la roue, aussi ennuyeux que du pain tranché. La normalité est ennuyeuse et il y a un pouvoir secret là-dedans. La normalité nous donne la possibilité de nous voir dans ce monde, nous pouvons imaginer une banale journée perdue parmi les téléphones, les kiosques d’angle et les arrêts de bus. Et c’est l’endroit idéal pour la juxtaposition, mais vous n’avez pas nécessairement besoin d’aller jusqu’au bout de la fantaisie pour y parvenir. Par exemple, avez-vous déjà vu un cheval dans une ville ? C’est un moment où l’anachronisme s’incarne. Le cheval parle immédiatement de chevaliers médiévaux et de cow-boys du Far West, et même s’il est aujourd’hui relégué aux ranchs d’élevage pour des personnes extrêmement riches, ces images historiques intégrées font surface, et voir cet animal majestueux trotter dans la rue entre des voitures bloquées est incroyablement choquant. Et c’est le genre de sentiment que nous voulons prendre et décupler.

Robert Kurvitz (lead designer et lead writer)

Le jeu constituait d’une équipe de dix écrivains (même si Robert Kurvitz déclare être l’auteur de plus de la moitié des textes du jeu) et inscrit dans l’univers d’un roman et d’un jeu de rôle, parvient à être habile, riche et dense, tant dans son background (qui comprend une frise chronologique s’étalant sur plusieurs siècles grâce au J.D.R. et au roman), que dans ses personnages (principaux et secondaires). C’est une petite prouesse d’écriture, que je considérerai (d’un point de vu strictement personnel) égale voir supérieur à ce qui a pu se faire de mieux sur la génération de console PS4 – One. A savoir que cette considération est également partagée par certains développeurs de RPG, comme Larian Studios qui a reconnu en interview s’être inspiré de Disco Elysium dans la création de Baldur Gates III car ils le voyaient comme une référence en matière d’écriture. Seule ombre au tableau ? L’univers extrêmement riche, peine à se contenir dans l’intrigue du jeu alors que l’aventure dure déjà entre 20-25h. Le tout nous laisse avec une fin abrupte dans laquelle on ressent expressément le fait que les développeurs manquaient de moyens. Néanmoins, la fin en elle-même en marquera beaucoup (et vaut très largement le coup d’être vécu), le jeu bénéficie d’une forte rejouabilité (grâce à son système d’archétypes) et une suite est d’ores et déjà en préparation…Nous comprenons de ce fait, que le caractère abrupte de la fin est la conséquence du manque de moyens vu en introduction lors de la présentation du studio et de Robert Kurvitz.

Puisque nous attaquons les points noirs du titre, concentrons désormais sur le gameplay et la technique.

Un gameplay et une technique qui ne plairont pas à tous…

Malheureusement, malgré son système de dialogue et de pensée organique, Disco Elysium reste un jeu ayant un gameplay simple et perfectible. Il se joue essentiellement à la souris (l’alternative au clavier rendant les déplacement lourd et moins précis, même s’il évite les miss-click durant les phases de dialogues) et fonctionne comme un point and click. Le joueur sélectionne des choix de réponses dans les dialogues, gère le cabinet des pensées (en équipant ou déséquipant des courants de pensées) et gère un inventaire classique (où il choisit la tenue de son personnage, chaque vêtement ayant des statiques différentes). L’ensemble est donc assez sommaire et souffre par moment d’un soucis de clarté par rapport aux murs invisibles. Il n’est pas rare de cliquer à un endroit normalement accessible, avant de se rendre compte que notre personnage ne fera pas le moindre pas, car c’est ici que s’arrête le jeu. Il y’a un mur invisible et rien ne le prédisait. C’est quelque peu maladroit et ne concerne fort heureusement que certaines zones (ouverte) du jeu. Malgré tout, le jeu récompense l’exploration par le biais d’objets, de costumes en tout genre et de quêtes secondaires (toujours extrêmement bien écrite). Pour ce qui est de la technique, elle demeure en dent de scie…Si elle est aisément rattrapée par la direction artistique (dont nous parlerons après), certains éléments font malheureusement tâche. C’est le cas par exemple, des modèles 3D plutôt simplistes, qui ne ressemblent pas toujours au portrait que nous présente chaque phase de dialogue :

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Une différence notable, entre la peinture et le modèle 3D.
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Certains modèles sont simplistes.

La Final cut a permis au jeu d’avoir un doublage intégral. Si le résultat est plutôt satisfaisant dans l’ensemble, certains acteurs de doublage ont malheureusement changé à cause des problématiques liées au corona virus, ce qui fait que certains personnages se retrouvent avec des voix moins satisfaisantes que dans la version d’origine…Tout ceci reste subjectif et je ne peux qu’exprimer ma gratitude à l’égard de tout ses acteurs-doubleurs qui ont fournit un travail colossale pour cette Final Cut, mais je regrette quelques changements dans lesquelles les voix deviennent plus “caricaturale” que par le passé (certainement parce que quelques unes essayent d’imiter les anciens doubleurs). De son côté, la traduction française est “perfectible”, elle permet aisément de comprendre l’histoire et de suivre les dialogues de bout en bout, mais ne rend pas nécessairement compte de toute la complexité du titre en faisant disparaître des subtilités. Il est évident que les traducteurs n’avaient pas toujours le contexte derrière les scènes qu’ils traduisaient ce qui est dommageable, mais compréhensible vu la quantité de textes. Fort heureusement une option permet de switcher instantanément in-game entre le texte original (en anglais) et la version française, de quoi profiter du meilleur des mondes le temps que diverses mise-à-jour corrige le tir.

Toutefois les faiblesses se retrouvent plutôt bien contrebalancer par l’ambiance générale qui est une des grandes forces du titre.

Une direction artistique et une bande son en totale accord avec la proposition.

Si cela n’était pas déjà évident vis-à-vis des concepts art déjà posté dans cet article, le travail des artistes de l’équipe ZA/UM est admirable, et donne une identité forte au titre. Les peintures d’Alekander Rostov (directeur artistique), offrent des décors extrêmement détaillés, crédibles et envoutants.

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La mise en scène de certains lieux, la gestion de lumière et la musique lancinante qui habite Martinaise permet d’offrir une âme au jeu malgré le caractère statique de l’ensemble.
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Il y’a toujours des idées de composition, mais ce qui marque réellement est la “recherche” du détail. Les artistes du jeu ont rendu les lieux extrêmement détaillés. Beaucoup d’objets, de décorations, de dégradations (comme des tags) sont représentés. L’univers du jeu parait “crédible” dans l’imaginaire du joueur, et cette recherche qui visent à rendre les lieux habités par un tas d’objets et d’idées, décrit bien la vision jusqu’au-boutiste que peuvent partager mutuellement un écrivain et un peintre. Un œil sur l’artbook permet d’ailleurs de constater tout ceci.
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La gestion de la météo dans le jeu opère parfois des transition abrupte entre la neige, la pluie et le beau temps, mais elle apporte un “véritable” plus en terme d’ambiance (et de sentiment de vie). D’autant plus que les PNJ n’hésiterons pas à faire référence au temps qu’il fait dans le cadre de nos discussion (ce qui est une attention au détail bienvenue).

De la peinture au rendue in-game :

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A gauche, les textures uniquement, à droite les éléments chargés en temps réel.
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Un rendu final qui peut être envoutant.

Tout ceci appuie le “côté” miroir déformant où la peinture ne rend pas compte du réel, mais le sublime. Les lieux sont brisés par la faillite, la violence et l’abandon des grandes puissances, mais une beauté sinistre demeure sur place. La méthode employé par ZAUM pour ces textures, nous rappelle le premier Dishonored réalisé par Arkane Studio, qui avait lui aussi opté pour des textures peintes à la mains.

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Dishonored 1

Ce qui n’est pas anodin puisqu’il s’agit effectivement d’une des inspirations de l’artiste 3D nommé Rauno Somelar.

Et qu’une blague, réalisée par les développeurs eux-mêmes, visait à faire croire aux joueurs que ZA/UM avait totalement changé de direction durant le développement pour faire un immersiv sim comme Arkane Studio.

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Montage réalisé par un développeur de ZA/UM.

De son côté, la bande de son du jeu, principalement issue de maquettes, de musiques remixés ou d’anciennes musiques du groupe British Sea Power enrobe extrêmement bien l’univers dépeint par l’équipe de ZA/UM.

Spécifiquement choisies par Robert Kurvitz (lead designer et lead writer), les musiques du groupe incarne avec beaucoup de justesse toutes les idées véhiculées par le jeu. Le rapport à la mer, que cela soit dans le nom du groupe (traduit en français “puissance maritime britannique”), les pochettes d’albums ainsi que les thématiques de certaines musiques, tout évoque directement ou indirectement la ville portuaire de Martinaise et sa gloire d’antant. Tout y fait sens et retranscrit une forme de beauté lancinante dans laquelle le jeu et la musique semble ne faire plus qu’un. Difficile dès lors d’imaginer Martinaise sans les musiques qui l’accompagne, elles pénètrent les lieux et rendent palpables la désolation environnante.

British Sea Power est un groupe de rock alternatif post-punk (ce qui n’est pas sans rappeler le groupe “Ultramelanhool” et ses inspirations). La variété des musiques du groupe les vaut à être comparés à The Cure et Joy Division aux Pixies et Arcade Fire, et ils demeurent réputés pour leurs performances en direct dans des lieux insolites.

L’ambiance générale traduit une vision d’ensemble où s’entremêlent peinture fantastique, débris et vestige de l’histoire, gloire d’antan, misère et senteurs maritimes. Le jeu parvient à nous renvoyer toute sa puissance symbolique et toute la complexité de son intrigue politique au travers de la direction artistique de ses lieux. Visiter la ville fictive de Martinaise sans le moindre dialogue, reste une expérience à part qui suffit à nous en mettre plein la vue et à nous interroger sur le “réel” sens de notre arrivée ici.. Qu’est ce qui n’a pas marché ? En ce sens, l’art derrière Disco Elysium est envoutant, profond, référencé et fait inévitablement écho à beaucoup de choses, sans jamais trop en dire.

Conclusion :

Si Disco Elysium est un premier essai perfectible qui accuse un manque de budget, il n’en demeure pas moins un jeu unique. Une œuvre innovante qui apporte une brique de plus au média par le biais d’un système dialogue qui redéfinit l’idée d’incarner un personnage dans un RPG, et qui ouvre la voie à de nouvelles alternatives susceptible de nous promettre mont et merveille. Il est engagé politiquement, pertinent, sincère et écrit d’une mains de maître. C’est un petit miracle sorti de nul-part, qui marque le “retour” de quelque chose de grand et qui je l’espère, ne s’arrêtera pas là.

Je souhaite de tout cœur au studio ZA/UM de pouvoir rassembler davantage de fonds pour corriger les quelques errances du titre et ouvrir la voie à de nouvelles idées. Rendez-vous à la fin de la prochaine décennie pour savoir ce qu’il en sera.

Chef-d’oeuvre !

9

+ Une narration et un système de dialogue innovant
+ Un scénario extrêmement intelligent
+ Une direction artistique et une bande son remarquable
– Des déplacement approximatif à la souris
– Des modèles 3D simplistes
– Une fin abrupte (et on sait qu’une suite est en préparation)

Sources :

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