Préface de RSHuman16 :

(28 novembre 1757 – 12 août 1827)
To see a world in a grain of sand
And a heaven in a wild flower,
Hold infinity in the palm of your hand
And eternity in an hour.
William Blake – Prémisse d’Innocence
En 2016, l’utilisation des quatre premiers vers du poème “Prémisse d’Innocence” de William Blake par Hideo Kojima pouvait être interprétée de différentes manières. On pouvait percevoir la pancarte introductive comme une note d’intention sur l’idée de la connexion puisque l’ensemble des images de la bande annonce exploitaient cette thématique (cordons ombilicaux, menottes, mammifères marins échoués sur la plage, opposition entre les échoués et Sam, et lien entre un père et son enfant). Le rapport à l’infiniment grand et à l’infiniment petit dans l’interdépendance des phénomènes permettait au créatif nippon de recentrer toutes ses préoccupations à hauteur d’homme avec des idées concrètes, comme la mort, l’écologie, et le lien. Toutefois, même s’il s’agit de thèmes que brasse William Blake dans ses œuvres, ne se concentrer que sur cet uniquement segment ne permet pas de “comprendre” l’importance que revêt le poète anglais dans l’univers de Death Stranding.
William Blake était un poète et un graveur avant-gardiste qui soutenait le droit des femmes et la Révolution française, et son poème “Prémisse d’Innocences” contenait déjà des idées écologiques au 19eme siècle. Mais selon lui, son talent tenait du “génie poétique”…

https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/blake/losenteringthegrave.htm
« Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie »
Le génie poétique (aussi appelé “génie prophétique”) est un “don” qui serait accessible à tous et qui permettrait à l’être humain d’accéder, grâce à son imagination, à une vision plus “claire” du monde. Nous pourrions voir “au travers de nos propres yeux” la nature véritable de notre réalité (comprenant des anges, des prophètes et Dieu). Ainsi les poèmes et les gravures de William Blake sont tous des représentations du “monde” dont il déclarait être le témoin. Un monde qui existait réellement d’après lui, et auquel nous aurions tous pu avoir accès avant que l’expérience (adolescence et âge adulte) ne fasse disparaître l’innocence (enfance).

William Blake va “créer” sa propre mythologie au travers de son œuvre. Urizen représente les limites de la raison humaine. En effet, son nom est un jeu de mot qui peut être compris de différentes manières “Your reason” (ta raison), “Horizon” (limite de notre perception physique) ou encore “your eyes in” (auto contemplation). Ici, le personnage d’Urizen crée le “monde” avant de se retrouver prisonnier de ce dernier.
De même que tous les Hommes se ressemblent (malgré d’infinies variations), de même toutes les Religions & leurs variantes ont une seule source : l’Homme véritable, autrement dit le Génie poétique.
Septième Principe – Toutes les religions n’en sont qu’une seule : Une Voix criant dans le Désert. William Blake
Si “Prémisse d’innocence” est avant-gardiste dans ses thématiques et comprend de nombreux parallèles intéressants a tisser avec Death Stranding (sur la “connexion”, le rapport micro-macro, le rejet de la guerre et de toute forme de violence, l’écologie et le prix à payer pour le non-respect de la vie animale), c’est aussi dans l’usage du “génie poétique” que repose tout le génie derrière le choix de ce poème. Car à la manière de William Blake qui voulait “révéler” la nature de notre monde par ses visions prophétiques, Hideo Kojima va nous “présenter” son univers atypique comme s’il était lui aussi empreint du même “génie poétique”… Comme s’il offrait à son tour la possibilité d’accéder à une “autre réalité”…
En ce sens, l’usage même de la plage n’est pas un “hasard”, car elle fait inévitablement écho à un autre poème de William Blake nommé “le voilier”.

Ce poème devenu célèbre pour les enterrements est attribué à William Blake par faute de mieux, puisqu’en réalité, nous ignorons quasiment tout de lui. Nous ne savons pas véritablement à quelle date il a été écrit, ni par qui… Dans les faits, il représente avec exactitude le concept derrière la “Grève” de Death Stranding et il est impossible qu’Hideo Kojima soit passé à côté vu tout l’intérêt que William Blake a suscité durant le développement.
Premier poème : “Prémisse d’innocence” (publié en 1803) de William Blake.

“The death of the virgin” – William Blake en 1803
Découvrir l’univers dans un grain de sable,
Voir un Paradis dans la Fleur des Champs
Contenir dans sa paume l’infinissable
Lire l’éternité dans une heure au cadran
La gorge du Rouge-Gorge dans sa cage encagé
Fera piquer au Ciel un orageux accès
Colombier rempli de colombes et pigeons
L’enfer en frisonne dans toutes ses régions.
Chien affamé veillant à la porte de son maître
Demain l’Etat sort en ruine par la fenêtre
Cheval sur les routes qu’on maltraite
Exige que du sang d’homme il y’ait dette.
Le moindre cri dans la gorge du Lièvre traqué
C’est fibre au Cerveau de l’homme arrachée.
L’alouette dont on blesse l’aile,
Un chérubin suspend sa ritournelle.
Coq de combat ailerons rognés et éperons armés
Soleil de l’Aube en est tout effrayé.
A chaque hurlement du Loups et du Lion
C’est une âme qui, des Enfers, quitte le fond.
Le cerf des forêts se précipitant çà et là,
L’Ame Humaine est protégée d’autant de tracas.
L’Agneau lésé crée publiquement la discorde
Mais pardonne au Boucher son couteau et sa corde.
Chauve-souris voletant à la tombée du jour,
Vient du Cerveau déserté par l’Amour
Chouette appelant à la tombée de la Nuit
Dit l’Incroyant par la peur saisi.
Qui blessera le tout petit Rouge-gorge
Jamais des hommes n’aura l’éloge.
Qui met en rage Bœuf de Labour,
Des femmes ne gagnera pas l’amour.
L’enfant cruel qui tue la mouche,
Qu’il craigne que l’araignée le touche.
Quiconque au tout petit pinson s’en prend,
S’enténébrera éternellement.
Quand la chenille est sur la feuille,
C’est ta propre Mère en deuil.
Ne tue ni Mites ni Papillons,
Le Jour du Jugement est près de ta maison.
Celui qui dompte les chevaux pour la guerre,
Ne franchira pas la barrière polaire,
Chient du mendiant et veuve et son chat
Donne-leur à manger, tu seras gras.
Moucheron qui bourdonne musique d’été,
Des langues calomnieuses son poison extrait.
Venins du Serpent et du Triton,
Du pied de l’Envie la transpiration.
Dard de l’Abeille à miel,
D’Artiste, la jalousie cruelle.
Robes du Prince et frusque du Mendiant
Au sac de l’Avare sont chancres envahissants.
Vérité qu’on livre par perversion
Dépasse les mensonges en invention.
C’est bien normal qu’il en soit ainsi :
Qu’il y’ait Joie et Pleurs dans la vie,
Et si une fois pour toutes tu le sais,
Au monde tu peux tranquillement aller.
Joie et Pleurs ensemble, toile fine,
Font vêtement de l’âme divine.
Sous le moindre regret et chagrin,
Soyez écheveau d’une joie pour demain.
Faible bébé vaut plus qu’en ses langes serrés ;
Outils sont faits et mains données,
Ainsi que savent tous les fermiers,
Chaque larme de chaque œil procédant,
Devient dans l’éternité un petit enfant,
Que les femmes brillamment savent recueillir,
Et retourner à leurs propres plaisirs,
Aboi, Bêlement, Grondement et Rugissement,
Sont vagues aux Plages du Ciel s’écrasant.
L’enfant sur qui la règle s’abat,
Au royaume de la Mort « vengeance » écrira.
Loques du mendiant flottant dans l’Air,
Lambeaux du Ciel qu’on lacère,
Glaive et Fusil dans la main du soldat,
Paralytique qui le Soleil d’Eté abat.
Le sou du Pauvre vaut d’avantage,
Que tout l’or de l’Afrique en ses rivages.
Maigre centime arraché des mains de l’ouvrier
Suffit à acheter à l’Avare sa propriété,
Ou s’il a protection des plus hauts
Tout ce que la Nation entière vaut,
Quiconque des Croyances d’Enfance rit,
Vieillard et mort aura nos moqueries,
Quiconque enseigne à l’enfant le doute,
Hors des tombes jamais ne trouvera la route.
Quiconque respecte la Confiance des Petits
D’Enfer et Mort triomphe à vie.
Jouets de l’Enfant et des Vieux la Raison
Sont les bienfaits des deux saisons.
Le questionneur qui se croit rusé
Jamais ne s’aura l’art de rétorquer ;
Quiconque à des paroles de doute répond,
Eteint la Lumière du Savoir pour de bon.
Le plus violent Poison jamais connu
De lauriers de César jadis est venu.
Rien ne déforme tant l’Humaine Race
Que la Paroi de Fer d’une Cuirasse.
Quand Or et Diamant la Charrue décoreront
Aux arts de la Paix les Envieux se rangeront.
Par une devinette, un cri de grillon,
Au Doute voilà comme on répond.
Millimètre la Fourmi et l’Aigle Kilomètres
Aux yeux de la boiteuse philosophie font le sourire naître.
Quiconque ne croit pas ce qu’il voit,
Quoique vous fassiez, jamais ne croira.
Si Soleil et Lune venaient à douter
Sur le champ immédiat ils s’éteindraient.
Avec la Passion le Bien peut se faire,
Soyez passionné, vous mettez tout en l’air.
De l’Etat ont licence le Joueur et la Putain,
Voyez de la Nation comme ils font le Destin.
Le cri de la Putain cascadant dans les rues,
C’est notre chère Angleterre dans son linceul toute nue.
Les hourrahs du Vainqueur, le Perdant en pétard,
Défunte Angleterre danse sur son corbillard.
Tous les matins et toutes les nuits
Naissent des malheureux à la vie.
Tous les matins et toutes les nuits
Naissent au plaisir les autres les uns.
Naissent au plaisir les autres les uns
Et d’autres à la nuit sans fin.
Aux mensonges nous tendons à croire
Quand nos yeux cessent de voir,
Mensonges de la nuit nés pour y rentrer
Quand l’âme dans son Halo de Lumière dormait.
Dieu est Lumière et Dieu apparaît
Aux pauvres âmes dans la nuit paumées,
Mais Forme Humaine fait paraître
A ceux qui au Royaume du Jour ont aître.
Traduction de Jacques Darras dans le “Le Mariage du Ciel et de l’Enfer
Site officiel du traducteur : http://www.jacquesdarras.com/
Deuxième Poème : “Le voilier” (date inconnue) de William Blake.

Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin, et part vers l’océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.
Quelqu’un à mon côté dit : « il est parti !»
Parti vers où ?
Parti de mon regard, c’est tout !
Son mât est toujours aussi haut,
sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui.
Et juste au moment où quelqu’un prés de moi dit : «il est parti !»
il en est d’autres qui le voyant poindre à l’horizon et venir vers eux s’exclament avec joie : «Le voilà !»
C’est ça la mort !
Il n’y a pas de morts.
Il y a des vivants sur les deux rives.
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